Philosophe se dit aussi au féminin

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Peu nombreuses, mais présentes depuis l’Antiquité, on les a toujours appelées autrement, femmes de lettres, penseuses ou intellectuelles, puisque le terme de philosophe ne leur était pas destiné. Malgré les époques, les barrières et les persécutions, elles ont pourtant toujours philosophé, peu importe les chemins empruntés et les oppositions farouches.

Étouffées et perdues pour l’humanité

Car ils ont tous tenu des propos misogynes, tel un Rousseau, un Schopenhauer ou un Nietzsche, critiqués par Simone de Beauvoir en ces termes : « Jusqu’ici les possibilités de la femme ont été étouffées et perdues pour l’humanité ». Elle-même ignorée dans les programmes scolaires, mais réhabilitée depuis, tout comme Simone Veil, Hannah Arendt ou Iris Murdoch. Ignorées, invisibilisées, il a fallu attendre les XXe et XXIe siècles pour qu’elles aient enfin les honneurs du Conseil supérieur des programmes (sur 84 noms de la liste des auteurs à étudier en terminale, seuls 5 sont féminins).

La première Française à soutenir une thèse de doctorat en philosophie fut en 1914, Léontine Zanta qui n’obtint jamais de poste d’enseignante en philo car cette matière n’était pas enseignée dans les lycées de jeunes filles.

Souvent un second rôle

Appelés pompeusement « Essais féministes », elles ont peiné pour tracer leur voie comme Christine de Pizan au XIVe siècle ou Marie de Gourmay, éditrice et traductrice de Michel de Montaigne, qui valorisait déjà le nom et le travail des intellectuelles du XVIIe siècle. Les époques suivantes ont poursuivi ce travail de reconnaissance des plumes féminines car, malgré le silence qui leur était opposé, elles ont continué à réfléchir, penser et écrire, voire même à enseigner. Kierkegaard a compati à leur sort : « Quel malheur d’être une femme ! Et pourtant le malheur quand on est une femme est au fond de ne pas comprendre que c’en est un ».

S’étonner, questionner, elles savent le faire mais leur légitimité est peu reconnue car elles n’ont souvent qu’un second rôle, Simone de Beauvoir était la compagne de Sartre et Suzanne Bachelard, la fille de Gaston Bachelard.

Disciples sans maître

Seule solution, se faire maître soi-même ! Mais il a fallu à ces femmes d’abord avoir accès à l’instruction car comment être autorisée à enseigner ce qu’on n’a pas le droit d’apprendre ? Mais lycées, universités ou École de Sèvres, rien ne permettait aux filles de suivre un enseignement de philosophie, comme s’en souvient Louise Weiss en évoquant son professeur : « Il nous jugeait indignes de fréquenter Montaigne, Racine ou Voltaire et disait : Je ne vous interdis pas de les lire si vos parents le permettent. Encore en sais-je qui colleront les pages des plus beaux chapitres. Qu’importe ! Votre goût invétéré de l’à-peu-près se trouvera satisfait ».

Quelle morgue et quelle suffisance ! Décriées de leur vivant, parfois même à titre posthume, jugées comme manquant de profondeur, elles sont accusées de trouver au bout de leur loupe une situation humaine et non une doctrine.

Entre l’être et le néant (Sartre), les femmes ont beaucoup parlé et pensé en parlant, à défaut d’avoir écrit. Si dans l’Antiquité, elles ne devaient pas dire la sagesse (philosophie), il fallait que la sagesse se dise à travers elles. Ont suivi les clergesses, les prophétesses et les béguines, le matrimoine philosophique est d’une richesse incroyable si on veut bien se pencher dessus, en occultant la pensée de Hegel : « La formation de la femme se fait on ne sait trop comment ».

Merci à celles qui ont su se battre pour être des précurseuses et qui me font regretter mes cours de philo en terminale où je n’étais ni assidue, ni intéressée, en comprenant aujourd’hui combien j’ai laissé passer ma chance de leur emboîter le pas.

Vicky Sommet

« Moi aussi je pense donc je suis » d’Élodie Pinel (éditions Stock, février 2024)

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