Briser les tabous de la masturbation

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Briser les tabous qui entourent encore en 2022 la masturbation féminine et encourager les femmes de tous âges et horizons à partir à la découverte de leur corps, pour en explorer les possibles, c’est la mission réussie par deux autrices québécoises, Roxane Gaudette Loiseau, actrice et féministe passionnée, et Mélanie Guénette-Robert, sexologue.

Se faire du bien

C’est drôle comme le sujet (et le marché !) des sextoys est rapidement devenu viral en quelques années, transformant l’angle de vue sur d’inoffensifs petits canards de baignoire, alors que le mot féminin de masturbation peut rapidement jeter un froid dans une assemblée, surtout si vous ajoutez : « je fais partie des pratiquantes, ravie de confier ma sexualité à 2 bonnes mains et de contribuer ainsi à revaloriser les arts manuels. » Au cas où la stupéfaction de l’assistance soit totale, précisez alors que vous citez Maïa Mazaurette, Blanche Gardin, Elodie Poux ou Anne Roumanoff dans le texte. Mais pourquoi ne pourrait-on pas évoquer cette pratique ancestrale en public au fait ? Quel mal y-a-t-il à se faire du bien, sans mâle justement ?

L’acte de self-care ultime

Adoubée dès l’Antiquité – Hippocrate comme Galien recommandaient l’orgasme pour procréer et le plaisir sexuel solitaire, salutaire à la santé – c’est l’église qui au Moyen-âge plombe la masturbation féminine pour mieux assurer la nécessité d’un époux. Péché, hystérie, la pratique est accusée de tous les vices au point de concevoir un remède diététique pour en guérir – des céréales insipides brevetées par M… Kellogg. Il faudra attendre le XXe siècle pour déflorer l’anatomie complexe du clitoris et rendre à la masturbation féminine, bien plus vaste que le seul et médiatique point G, des lauriers bien mérités, loin des clichés et croyances si limitantes.

Les données scientifiques sont sans appel : 95 % des hommes atteignent l’orgasme à chaque relation sexuelle avec circlusion (merci à la philosophe Bini Adamczak pour ce nouveau mot, qui donne à la pénétration un synonyme, vu de l’intérieur, circum « autour » et clure « couvrir »), alors que seulement 65 % des femmes y parviennent.

Lors d’une relation entre deux femmes, le chiffre grimpe à 86 % et s’envole au-delà des 100 % lors de masturbation féminine puisque les femmes sont polyorgasmiques, un privilège qui tient à la nature-même du clitoris (qui ne connaît pas de stade réfractaire). Pour autant, masturbation ne rime pas avec injonction ni frustration, mais avec la possibilité d’une meilleure connaissance de soi, de ses besoins, attentes, préférences donc épanouissement personnel.

« Je vois aujourd’hui la masturbation comme l’acte de self-care ultime. Parlons-en, Mesdames ! Fort et souvent ! »

Un manifeste salutaire

Dans leur ouvrage documenté et pédagogique, Roxane Gaudette Loiseau et Mélanie Guénette-Robert présentent non seulement les découvertes scientifiques autant que les pionnières qui les ont portées, mais aussi une carte du tendre féminin ainsi que les questions existentielles que le clitoris et son usage, pour notre seul et bon plaisir, posent à la société : l’autonomie du plaisir fera-t-elle voler en éclat la domination sexuelle, en libérant la relation amoureuse de la charge qui pèse souvent sur les hommes ? Comment conjuguer plaisir solitaire et vie sexuelle épanouie en couple ? Pourquoi taire une pratique ancestrale ?

Les témoignages de femmes de 30 à 90 ans qui concluent l’ouvrage sont éloquents et unanimes. Laissons à Yvonne, pétillante et lucide nonagénaire, la conclusion : « Chaque femme devrait pouvoir se sentir à l’aise de se donner du plaisir et de s’épanouir sexuellement. » Vive les Québécoises libres !

Anne-Claire Gagnon

« Petit manifeste de la masturbation féminine » de Roxane Gaudette-Loiseau et Mélanie Guénette-Robert (Éditions de l’homme, 2022).

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