La petite philosophie de l’ennui    

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Paresser, procrastiner, rêvasser, ces attitudes modernes relèvent de l’ennui. L’ennui serait-il alors un vrai compagnon qui nous réconforte et nous rassure ? Cela mérite réflexion car, d’après Oscar Wide, « L’ennui est la seule chose horrible dans ce monde. C’est le seul péché pour lequel il n’existe pas de pardon ! »

L’ennui d’hier

Selon le Larousse, l’ennui est « Une lassitude morale, engendrant la mélancolie… », des mots que nous n’employons plus aujourd’hui, à l’image de Madame Bovary qui s’ennuie et comble ce vide par la rêverie. On disait autrefois que l’ennui rongeait l’âme, que c’était « Une langueur d’esprit », ou pour Pascal « Une misère sans cause ». Pour les psychologues, l’homme qui s’ennuie sent son néant, son impuissance, et éprouve une forme de dépit, de désespoir, de chagrin, il est triste pour lui-même. On pensait alors que l’oisiveté était la base de l’ennui, pour Voltaire « Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin » et Diderot l’a décrit comme « Une espèce de déplaisir qu’on ne saurait définir… L’ennui est le plus dangereux ennemi de notre être… l’homme entreprend souvent les travaux les plus pénibles, afin de s’épargner la peine d’en être tourmenté. »

L’ennui d’aujourd’hui

Dans les sociétés modernes, l’ennui est associé au désœuvrement et à l’improductivité, un fléau dans la sphère professionnelle. À la retraite, le temps libre est utilisé pour développer de nouvelles activités, l’ennui alors n’est pas négatif et se transforme en un processus créatif pour imaginer de nouvelles ressources. Alain confirme : « Qui n’a point de ressources en lui-même, l’ennui le guette et bientôt le tient ». Depuis la seconde moitié du 20ème siècle, nous avons vécu dans le culte de la sur-occupation jusqu’à virer à l’implosion. Si l’agenda surchargé est un signe de statut social élevé, autrefois, l’oisiveté et l’ennui étaient les marques de l’appartenance à la bonne société. Mais quelque chose est en train de changer. Devenus conscients de nous-mêmes, nous avons la volonté de nous réaliser. Notre société amorce une décélération et nous sortons progressivement de l’apologie de la vitesse pour aller vers une société nomade.

La France s’ennuie

Sommes-nous les champions de l’ennui ? Lamartine le pensait à l’aube des révolutions de 1848 : « J’ai dit un jour « La France s’ennuie ! », je dis aujourd’hui : « La France s’attriste ! ». En 1968, cette phrase était reprise dans les journaux pour évoquer les étudiants européens qui périssaient d’ennui. Si Serge Gainsbourg a chanté « Ce mortel ennui », Alain Souchon « On s’ennuie », Renaud « Mimi L’ennui », Thomas Dutronc a conclu « On ne sait plus s’ennuyer ». Nous vivons aujourd’hui un temps long à se demander si la vie normale reviendra, la pandémie disparaître, l’avenir s’éclairer et, comme nous n’avons pas les réponses, nous nous mettons en retrait pour fuir l’angoisse de la situation, ce qui, vu de l’extérieur, peut ressembler à de l’ennui.

Puisque l’incertitude prévaut, rendons-nous disponibles dans l’immédiat pour agir, aimer, inventer et, même si l’ennui ne disparaît pas, nous l’accepterons plus sereinement.

Vicky Sommet

LIRE L’ennui d’Alberto Moravia, Petite philosophie de l’ennui de Lars Fr. H. Svendsen, L’ennui nous sauvera de Manoush Zomorodi, Les trésors de l’ennui de Sophie Marinopoulos, La vie ordinaire d’Adèle van Reeth.

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