L’avenir des objets

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Près de 90 historiens ont accepté de raconter l’histoire du monde par les objets dans un ouvrage paru récemment. Histoire éclairée et éclairante.  Avec ces objets à la fois familiers et extraordinaires qui nous entourent (dont on ne pourrait plus se passer ?), nous sommes invités à comprendre la mondialisation et ses limites.

 L’objet de nos désirs

« En 1946, c’est simple, en France, il n’y avait rien », écrivait Françoise Giroud en 1972. Ce « rien » fut à l’origine de la société de consommation des années 1960. L’un de ses aspects sombres, c’est lorsque les objets prennent toute la place, et « qu’ils sont un miroir qui nous renvoie l’image de ce que nous sommes. Ils sont ce que nous sommes ! »¹ Les auteurs ont voulu nous montrer de quelle façon les objets les plus quotidiens, manipulables autant que possible, pouvaient permettre d’appréhender l’histoire du monde en s’intéressant à ceux qui ont connu une circulation mondiale.

Saviez-vous que le hamac, d’origine amérindienne avait été mis au service de la conquête de l’espace ? Que le shampoing adopté par les Britanniques provient du sous-continent indien ? Quid de la canette en aluminium, du stylo à bille, du masque prophylactique, de la pilule, du sex-toy, stérilet, tongs, etc. ?

Trois types d’objets

Mais le livre pose aussi souvent la question des limites de cette mondialisation en considérant trois types d’objets. Ceux produits dans le cadre de l’industrialisation occidentale puis répandus dans le monde entier, comme l’ampoule électrique (mais une grande partie du monde n’est encore pas électrifiée). Ceux qui, toujours issus de l’industrialisation occidentale, ont nécessité des moyens de production étendus à l’ensemble du monde (le piano par exemple avec ses touches blanches d’ivoire et ses touches noire d’ébène a des répercussions considérables en Afrique). Et puis les objets inventés et produits ailleurs dont le processus de diffusion a conduit à des modalités étonnantes de réappropriation.

La planche de surf par exemple, au cœur de pratiques religieuses en Polynésie pour rendre hommage aux Dieux, régler des conflits ou faire connaissance avec l’autre. Puis, à partir de « l’annexion » d’Hawaï, devenue un instrument de civilisation, connaissant une diffusion mondiale et devenue un symbole de culture californienne (et basque ?)

Mundus et Globus²

C’est bien l’histoire du monde qu’on nous raconte, avec, entre autres, le fameux gilet jaune, accessoire de sécurité routière, devenu un symbole mondial de révolte. Il s’agit alors de rendre visibles les invisibles. Ce qu’on a un peu oublié, c’est qu’il se pose là en symbole de la mondialisation dans sa forme la plus « sauvage » : fabriqué en Chine, acheminé par cargo polluant, commercialisé par des multinationales… Et cette dématérialisation à laquelle nous assistons, sonne-t-elle le glas des objets ? Oui et non… Si vous regardez un bureau aujourd’hui et un bureau il y a cinquante ans, il est vrai que beaucoup d’objets ont disparu mais ont été remplacés par l’ordinateur (bien matériel). Les nouvelles règles et normes favoriseront sans doute l’apparition de nouveaux objets, mais il n’est pas certain pour autant que la boîte de conserves, par exemple, disparaisse (très en vogue dans les mouvements survivalistes…).

Il est difficile de prévoir l’avenir des objets et leurs nouveaux modes de production et usage. Malgré les inquiétudes écologiques légitimes, ne continuons-nous pas à fabriquer dans des conditions, à tout le moins fâcheuses, notre indispensable téléphone portable… Quel sera le monde (globalisé) d’après ?

Anne-Marie Chust

« Le magasin du Monde : La mondialisation par les objets du XVIIIème siècle à nos jours » sous la direction de Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre (Editions Fayard, septembre 2020).
¹François Dagognet, Éloge de l’objet (Editions Vrin, 1989).
²Univers et Globe en latin.

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