Sucré, salé/épicé, amer, acide et umami (savoureux selon nos amis japonais qui en connaissent un éventail en matière de goût), bien sûr nos habitudes alimentaires peuvent en dire long sur certains traits de notre tempérament et nos modes de fonctionnement aux autres. Qu’est-ce que nos goûts disent de nous et surtout de notre société ?
Il paraitrait que ceux qui aiment les sensations fortes, prendre des risques ou aspirent à être au centre de l’attention seraient attirés par une nourriture épicée, les amateurs d’amer pourraient être synonymes d’une nature narcissique, et même psychopathe, et pour les orientés acide leur personnalité serait plutôt mordante !
Le goût du sucré
Ingrédient devenu central dans notre alimentation, n’avez-vous pas la sensation parfois de tout manger sucré ? Depuis quelques années, les vinaigrettes servies dans les restaurants n’ont plus ce goût de vinaigre et moutarde car on l’a remplacé par du vinaigre balsamique, produit intéressant, certes, mais qu’on nous replace maintenant à toutes les sauces (ce qui n’était pas ni sa fonction ni son utilisation première en Italie, où il servait plutôt à exalter les goûts de produits forts comme le fromage, par exemple). Saviez-vous que pendant la crise du Covid 19¹, les ventes de sucre ont bondi de 30 % en France, avec une prime au sucre en poudre (+56 %) et plus encore au sucre à confiture (+80 %). Des enquêtes menées montrent aussi que la période a favorisé, notamment chez l’enfant, le « manger émotionnel ». Dans le huis clos de nos vies confinées, nous avons été nombreux à noyer nos angoisses de fin du monde dans la douceur réconfortante de desserts faits maison.
L’empire du sucre
Manger ne sert pas uniquement à se nourrir (donc répondre à des besoins énergétiques et nutritionnels), mais aussi à répondre à des besoins émotionnels. L’alimentation contribue aussi à notre équilibre psychologique et savourer des aliments réconfortants est salutaire. Le goût est un stimulus spécial puisqu’il est relié directement à une partie émotive du cerveau. Le sucre est aussi, aux côtés des céréales, l’un des produits qui, à travers les siècles, décrit le mieux l’histoire des peuples, la violence des empires (la traite, l’esclavagisme) et la naissance d’une mondialisation dont il est un acteur majeur et qui nous conduirait à un état de soumission et d’addiction, ne serait-ce que par l’obésité ou le diabète.
« La mer, la mère et l’amer »²
La vie est comme le chocolat… « c’est l’amer qui fait apprécier le sucre »³… Cynthia Fleury dans son essai sur l’amertume² nous dit que « l’homme peut », et que c’est un choix moral, « passer à autre chose que le ressentiment ». À ses yeux, il est agent de sa propre vie, capable d’affronter le réel et de sortir du déni. Le titre de son livre nous plonge directement dans une philosophie aux trois homonymes : la mer qui peut désigner une étendue d’eau, les océans, une envie de prendre le large ; la mère celle qui donne la vie et avec qui on doit à un moment ou à un autre couper le cordon ombilical, et le goût amer, à ne pas confondre avec l’amertume.
Notre société est devenue une société sucrée (d’autres disent gnan-gnan), allergique à tout jugement, un peu molle, qui perçoit la moindre critique comme une agression, manque un peu d’énergie et d’un certain ressort physique ce qui l’installe parfois dans la victimisation. L’amer pourrait être la saveur de la sagesse que l’on peut apprendre à apprécier, même s’il est vrai que le sucré est plus confortable à aimer… Un bon expresso avec un peu de chocolat noir ! Ce petit goût d’amertume peut être un grand exhausteur de vies…
Anne-Marie Chust
¹Enquête menée par le Centre des sciences du goût et de l’alimentation (Dijon).
²Ci-gît l’amer – Guérir du ressentiment de Cynthia Fleury (Editions Gallimard, 2020).
³Proverbe malgache.
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