Voyage aux tables du monde  

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Le café était éthiopien avant d’être mondial, le ketchup américain est fait de concentré de tomates chinois et le « raki » boisson nationale turque. Chaque pays a sa cuisine, ses coutumes alimentaires et ses particularités identitaires. Hier l’épicerie vendait des épices, aujourd’hui elle vend les produits de toutes les tables du monde.

Histoires de goût

L’épicerie du quartier est installée en ville, Balzac écrit que son existence date du milieu de 18ème siècle, l’épicier étant « Ce ministre de l’Afrique, le chargé d’affaires des Indes et de l’Amérique ». Dès cette époque, la circulation des denrées est facilitée grâce au développement de l’industrie et à la volonté d’affirmer son identité. Réalité ou légende, la pizza Margherita fut nommée d’après la reine Marguerite de Savoie et porte trois couleurs, tomates rouges, mozzarella blanche et basilic vert, celles du drapeau italien. Autre constat, le Christmas pudding, emblème de l’empire britannique, avait attiré les récriminations des colonies qui se plaignaient que leurs productions ne figuraient pas dans la recette. Le Japon a ordonné que le saké soit servi lors des célébrations officielles aux dépens du champagne étranger et le ceviche est devenu patrimoine culturel du Pérou en 2004, nom tiré de l’exclamation étonnée d’un marin anglais « son of a bitch ! ».

Le passeport des aliments

Déjà, lors des expositions universelles, l’alimentation était présente avec le roquefort à Paris en 1867, le loukoum à Vienne en 1873 et les corn-flakes à San Francisco en 1915. Elle peut générer des conflits : la guerre du houmous entre Israël et le Liban ou celle qui divise la Tunisie, le Maroc et la Mauritanie sur l’origine du couscous. Identités aussi quand on évoque les Français « frog-eater », mangeur de grenouilles, et les Allemands « sauerkraut-eater », mangeur de choucroutes. Nous, on se plait à décrire les Anglais comme des « roast-beefs », bœufs rôtis, et Mao Tsé Toung serait devenu le Guide chinois en consommant du piment du Hunan. La cuisine a toujours été une affaire de femmes, elles confectionnaient l’attiéké en Côte d’Ivoire et les « chili queens » vendaient le chili con carne au Texas. Aujourd’hui, ce sont encore elles qui travaillent sur les chaînes des usines agro-alimentaires.

La cuisine des terroirs

En Californie, les immigrés japonais ont transformé le maki en California roll et remplacé le thon cru par l’avocat et la chair de crabe. Pendant la seconde guerre mondiale, les troupes britanniques burent du rooibos sud-africain pour remplacer leur Five O’Clock tea tandis que l’Allemagne nazie faisait la promotion du Fanta (fantastisch) pour remplacer le Coca-Cola. Le ministre des Affaires étrangères britannique a, en 2001, consacré le chicken tikka (importé d’Inde) comme plat national au lieu du traditionnel fish and chips.

Sans oublier la malnutrition qui affecte deux milliards de personnes dans le monde, l’histoire de l’épicerie s’invite à notre table chaque jour. Une dernière légende, celle de la consommation du yaourt qui expliquerait l’âge avancé des montagnards de Bulgarie, le lactose se transformant en acide lactique, et vendu comme bon pour la santé, repris par des entrepreneurs de l’Empire ottoman, dont Isaac Carasso qui a développé ce commerce à grande échelle en donnant à sa société le diminutif de son fils Daniel… Danone !

Vicky Sommet

« L’épicerie du monde – La mondialisation par l’alimentation du XVIIIe siècle à nos jours », une étude de 88 aliments passés au chinois par un collectif d’historiens sous la direction de Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre aux éditions Fayard (2022).

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