Femmes de lettres ukrainiennes

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Dans ce pays écartelé et meurtri, la littérature liée aux soubresauts de l’histoire et longtemps occultée par l’Union soviétique n’a jamais cessé d’être féconde. C’est un auteur, Andreï Kourkov¹, qui m’en a ouvert la porte. J’ai retrouvé la force, l’humour et le courage de son écriture dans les ouvrages des femmes ukrainiennes que j’ai découverts par la suite et que je vous invite à rencontrer ici.

Les femmes du passé

Maria Markovytch, connue sous le pseudo Marko Vovtchok, née en 1833, est une des premières femmes de lettres ukrainiennes. Elle a recueilli le folklore et les chansons qu’elle a utilisés dans ses écrits et a créé le célèbre personnage de « Maroussia », une petite ukrainienne du XVIIe qui se sacrifie pour la liberté de son pays. Le roman, très engagé, relate son histoire, fille de Cosaque ukrainien qui aide un chef indépendantiste recherché en raison de sa lutte pour libérer le pays sous emprise polonaise et russe. Ce récit patriotique connaît un très grand succès en France dans lequel on voit un parallèle avec l’occupation de l’Alsace et de la Lorraine par la Prusse.

Lessia Oukraïnka, née en 1871, a écrit pour les lecteurs du monde entier « L’espérance »², son premier poème, à l’âge de 9 ans, suite à la déportation de sa tante. La tuberculose l’empêche de fréquenter l’école et elle apprend seule 8 langues, ce qui lui permet de réaliser de nombreux voyages. Elle imagine une bibliothèque mondiale pour faire découvrir le patrimoine culturel à ses compatriotes et publie « Les Chants des esclaves » en 1895. Emprisonnée en raison de sa protestation révolutionnaire, elle sera sous surveillance policière. Après avoir rejoint Le club ukrainien, regroupement d’intellectuels, la maladie l’emporte à 42 ans. « La chanson de la forêt » est son œuvre la plus célèbre.

Les contemporaines ont repris le flambeau avec courage et audace

Lina Kostenko, née en 1930 (mère de Oksana Zaboujko), est une des figures féminines de la littérature ukrainienne dont l’œuvre a été censurée à partir des années 60. Très marquée dans son enfance par l’arrestation de son père considéré comme « ennemi du peuple » et éloigné de sa famille, elle a participé au mouvement dissident des poètes ukrainiens. L’interdiction de publication dont elle est victime ne l’empêche pas de continuer à écrire. « Les notes d’un fou ukrainien » son premier roman a enfin été publié en 2010. Après avoir reçu de nombreux prix littéraires elle a été couronnée du titre d’« écrivain d’or de l’Ukraine »  en 2012 à titre de réhabilitation et de reconnaissance.

Maria Matios, née en 1959, diplômée de l’Université de Tchernivsti et lauréate de nombreux prix littéraires ukrainiens. Ses œuvres ont été traduites dans le monde entier et en particulier « Daroussia la douce », son premier roman. Dans ce texte puissant, elle dénonce la cruauté des hommes et les maux de la guerre à travers l’histoire d’une jeune fille innocente. À la fois poétique, étrange et poignant, c’est un petit bijou.

Oksana Zaboujko, née en 1960, fille de Lina Kostenko philosophe, romancière, poétesse et militante. Elle a étudié à Kiev, a enseigné longuement aux États-Unis et a bousculé les codes avec en particulier ses deux ouvrages. Le plus épique, « Le musée des secrets abandonnés », dans lequel elle explore le passé de l’Ukraine et la renaissance de sa culture nationale. Le second, « Explorations sur le terrain du sexe ukrainien » est l’ouvrage ukrainien le plus traduit au monde dans lequel elle aborde la sexualité au féminin. Il s’agit d’un des textes les plus importants de la littérature ukrainienne de la période post-soviétique. Il a été à l’origine de nombreuses polémiques. Très engagée sur le plan féministe, elle a beaucoup exploré le rôle de la femme, les problèmes identitaires ainsi que l’empreinte de l’histoire sur les destins individuels.

Yevgenia Belorusets, née en 1980 à Kiev, est à la fois écrivaine et photographe. Elle a étudié la philologie allemande à Kiev, la littérature à Vienne et la photographie à Kiev. Après avoir énormément navigué entre Berlin, pour y exposer, et Kiev, pour y collecter des éléments, elle n’a pas quitté son pays depuis l’invasion par la Russie et elle écrit un journal sur les effets de la guerre dans la capitale. Depuis le 26 février 2022, elle restitue son regard sur les effets de la guerre sous le titre « Nouvelles de Yevgenia » sur une radio allemande et elle tient un blog « Lettres de Kiev » publié en français sous le titre « Il est 15 h 30 et nous sommes toujours vivants – journal de guerre » aux éditions Bourgois.

La guerre se poursuit, mais les femmes veillent et combattent inlassablement avec leur plume.

 Brigitte Leprince

¹Les abeilles grises d’Andreï Kourkov (Liana Levi, 2022 – Poche, 2023) – Prix Médicis étranger 2022

²L’espérance
« Je n’ai plus ni bonheur ni liberté
Une seule espérance m’est restée :
Revenir un jour dans ma belle Ukraine,
Revoir une fois ma terre lointaine,
Contempler encore le 
Dniepr si bleu
— Y vivre ou mourir importe bien peu –,
Revoir une fois les tertres, les plaines,
Et brûler au feu des pensées anciennes…
Je n’ai plus ni bonheur ni liberté,
Une seule espérance m’est restée. »
Lessia Oukraïnka

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