À la recherche de la jeune fille à la perle

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Qui est cette femme énigmatique, « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre »¹, qui vient nous donner un instant suspendu d’éternité, « comme une chanson qui se terminerait sur l’avant-dernier accord et qui nous laisse espérer un dernier accord qui nous permettrait de la laisser en paix »² ? Qu’a-t-elle de si particulier ?

« La jeune fille au turban »

Peint en 1665, à la fin de ce qu’on appelle l’âge d’or de la peinture néerlandaise, période pendant laquelle elle est profondément influencée par la société entière avec la peinture de genre et le tronie³, longtemps oublié, comme Vermeer4, ce tableau s’est d’abord appelé « La jeune fille au turban », pièce de parure associée à l’exotisme et aux séductions orientales. Ce turban nous rappelle la puissance commerciale de niveau mondial des Provinces Unies et l’importance de Delft, où est né et a vécu Vermeer, où les navires de commerce apportaient souvent des nouveautés fabuleuses et des joyaux du monde entier. Comme cette perle qui finalement n’était pas une perle, trop grande pour être vraie, sans doute une imitation en verre, tracée en deux coups de pinceau, sans crochet argenté à l’oreille.

Engouement universel

De Vermeer, dont on ne sait pas grand-chose, seulement 36 toiles nous sont restées. Elles sont nombreuses à représenter des femmes seules posant dans des gestes du quotidien : patience, modestie, sérénité et lumière. Ses modèles appartenaient à son entourage familier, mais qui étaient-elles vraiment ? L’artiste les piège dans des moments intimes qui nous restent mystérieux. À nous de rechercher les indices. La fascination pour le grand maître hollandais n’a fait qu’augmenter avec le roman de Tracy Chevalier5 qui suscitera un engouement planétaire, conforté par le film6 tiré de son œuvre dans lequel elle invente l’histoire du tableau et cet amour impossible entre le peintre et son modèle.

La perle prend le dessus

Le succès de cette fiction donnera son nom définitif au tableau. Oublié le turban, la perle a pris le dessus, « un titre bien plus fascinant et à fort impact populaire », sans oublier que notre jeune fille est partie prenante dans notre monde globalisé, comme ses Néerlandais d’ancêtres l’étaient naguère, car nous la (re)connaissons tous, cette « Joconde du Nord », à la fois claire et obscure, utilisée par des entreprises comme support publicitaire, omniprésente dans nos agendas illustrés ou servant d’inspiration artistique à Bansky avec sa peinture murale où la perle est remplacée par un boitier d’alarme fixé au mur. Elle est devenue une véritable icône !

Énigmatique et fascinante

La séduction de la jeune fille reposerait sur trois qualités qui nous fascinent tous :
♦ La beauté : L’œuvre est tout simplement magnifique, le jaune et le bleu du turban, les lignes lumineuses du contour du visage qui s’estompent subtilement dans l’ombre de l’arrière-plan…
♦ La familiarité :  Nous ne savons pas qui elle est, mais nous avons le sentiment de la connaitre, car elle nous lance un regard fascinant et profond. Elle n’est pas peinte dans le détail, mais ses yeux sont presque hypnotiques, sans contours précis, ses lèvres sont rouges et charnues légèrement écartées et comme humides. Se préparerait-t’elle à parler ou à donner un baiser ? Mais pourquoi et à qui ?
♦ Le mystère : Nous ne savons pas qui était cette jeune fille ni ce qu’elle pense, le lien entre le peintre et son modèle semble indéfini et ambigu. Est-elle heureuse ou triste ? Que cache son regard ?

C’est ce secret qu’elle ne nous révélera jamais qui nous pousse à l’admirer encore et encore et toujours, à la recherche de réponses que nous ne trouvons pas.

Anne-Marie Chust

« La jeune fille à la perle », Musée Maurithuis, La Haye. Considéré comme l’un des trois tableaux les plus connus au monde avec « La Joconde » de Leonard de Vinci et « Le Cri » d’Edvard Munch.

¹Paul Verlaine.
²Extrait de « La jeune fille à la perle » roman historique de Tracy Chevalier (1999, Folio).
³D’un ancien mot hollandais signifiant « trogne », « tête » ou « physionomie ». Tient l’identité du modèle sans importance et insiste au contraire sur sa mise en situation (exagération des traits, représentation dans un costume exotique, etc…).
4Johannes Vermeer (1632-1675).
5« La jeune fille à la perle » de Tracy Chevalier (roman Folio, 1999).
La jeune fille à la perle » film de Peter Webber avec Colin Firth et Scarlett Johansson (2004).

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