2022 fête les 400 ans de la naissance de Molière, né Jean-Baptiste Poquelin, une occasion de célébrer son héritage à travers quelques femmes marquantes de son œuvre. Qu’elles soient précieuses, savantes, ridicules, amoureuses, elles apparaissent, chacune à leur façon, comme des féministes avant la lettre.
L’école des femmes… libérées
Arnolphe a enfermé sa pupille Agnès dans un couvent pour en faire une épouse soumise et ignorante¹. Agnès est innocente mais loin d’être idiote. Sa rencontre avec Horace va la soustraire des griffes de son tuteur. Molière, dans une comédie en alexandrins, décrit l’amour comme force libératrice. Au fur et à mesure de ses rencontres avec Horace, la jeune fille prend de l’assurance, se bat d’égale à égale avec Arnolphe qui la menace. Sa propre détermination la métamorphose. Par la maîtrise de la parole, sa liberté de discours, la jeune fille devient femme. En se libérant de l’emprise, elle nous venge de tous les hommes dominateurs et violents. En 1662, Molière expose en alexandrins, les leviers de la domination masculine et libère la parole des femmes grâce à la comédie.
Signe des temps, en 2020, Emmelyne Octavie² va écrire une version drôlissime, « L’oiseau en cage », où Arnolphe, outre perruches et perroquets, élève dans son oisellerie deux Agnès qu’il s’est promis de prendre pour épouses, une petite Agnès douce et soumise et l’autre insolente qui montre des velléités d’envol. Une version revisitée de Molière, version #MeToo !
Les femmes précieuses… mais pas ridicules
Loin d’être les sottes moquées par Molière, les Précieuses cherchaient à se distinguer par un langage raffiné et de belles manières. Elles revendiquaient de participer à la vie littéraire du XVIIe siècle et de vivre en femmes libres. Elles pratiquaient la conversation mondaine, le « loisir lettré » et refusaient la gauloiserie. Madeleine de Scudéry incitait les femmes qui voulaient écrire à ne pas se marier. Dans une BD vengeresse, l’autrice Delphine Panique³ redonne la parole aux deux héroïnes « ridicules » de Molière, Cathos et Magdelon et l’on comprend leurs aspirations, en opposition à une société violemment patriarcale, représentée par le père Gorgibus, qui veut marier ses filles par la contrainte et n’hésite pas à les frapper. Molière aurait ainsi par l’ironie (involontairement ou pas) immortalisé les aspirations des Précieuses qui s’inscrivent dans la longue tradition des femmes qui, au cours des siècles, ont lutté pour l’accès à une meilleure éducation et davantage de reconnaissance.
Les femmes qui lisent sont dangereuses
Dans les Femmes savantes, Philaminte défend l’accès à l’érudition et prononce un véritable manifeste4 décrivant ce phénomène typique du sexisme qui consiste à classer les femmes dans une sous-catégorie. Armande, sa fille ainée, a adopté les revendications d’égalité et de pouvoir intellectuel des Précieuses mais également leurs idées contre le mariage et la maternité. Certes, Molière se moque de ces femmes, l’une castratrice, l’autre frigide, mais ne serait-ce pas l’expression de l’angoisse suscitée par leur désir de puissance qui désorganise cet ordre social qui enferme les femmes dans un modèle patriarcal ? C’est en tous cas l’interprétation brillante qu’en fait, en 2015, Macha Makeïeff dans son interprétation rock’n’roll de « Trissotin ou les Femmes savantes ». Elle transpose la pièce dans les années 70 qui ont inventé le féminisme et offrent une belle caisse de résonance à Molière. Dans sa mise en scène, les femmes finissent par se débarrasser de l’emprise de ce 3 fois sot de Trissotin qui n’est rien d’autre qu’un manipulateur.
Autre femme indépendante dans le Misanthrope, Célimène, jeune et veuve, choisit la pleine maîtrise d’un monde sans l’autorité paternelle ou conjugale et balance Alceste, son « porc ». Par cette figure hors norme, la plus libre de tout son théâtre, l’auteur montre que les femmes n’ont pas forcément le destin que leur assigne leur genre.
Cette galerie de portraits montre bien que Molière fut un prophète de la libération de la femme. Autant que la société de son temps l’autorisa à l’être.
Michèle Robach
¹Acte I Scène1 Une femme d’esprit peut trahir son devoir
²L’oiseau en cage
³Les Précieuses pas ridicules
4Acte III, scène 2 : « Et je veux nous venger toutes, tant que nous sommes/ De cette indigne classe où nous rangent les hommes.»