Lucrèce Borgia : la vérité

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Dans la famille Borgia, Lucrèce est celle qui traîne de façon injuste la réputation la plus sulfureuse. Empoisonneuse, incestueuse, lubrique et satanique, que n’a-t-on pas écrit sur la fille du pape Alexandre VI ! Et pourtant…

Sacrée famille

La famille Borja ou Borgia est originaire d’Espagne (Jativa – Royaume de Valence) et voit son influence augmenter au XVème siècle quand l’un de ses membres devient pape sous le nom de Calixte III en 1455 puis son neveu Rodrigo, père de Lucrèce, sous le nom d’Alexandre VI en 1492. Bon ! Ces espagnols n’étaient pas vraiment la « cup of Tea » des collègues du Vatican qui préféraient les italiens bon-teint, mais, comment dire, certaines pressions financières exercées auprès de la Curie et une bonne connaissance du terrain, permirent son élection. Pour être tout à fait juste, ce n’était pas le premier (ni le dernier) à soudoyer son conclave !

Premiers pas

L’accession au trône papal de son père transforme à jamais sa vie. Le destin de la jeune fille prend soudainement une importance toute particulière aux yeux des hommes puissants qui l’entourent, son père, bien sûr, mais aussi son frère, inspirateur du Prince de Machiavel et un tantinet dévoré par l’ambition. Les perspectives de mariage de la jeune fille sont au centre de toutes les attentions au sein des hautes sphères de la société romaine. On décrit Lucrèce comme une jeune fille exquise et gracieuse à l’éducation « empreinte de piété chrétienne ». Elle apprendra aussi les fondements de la culture savante¹.

Trois mariages et des enterrements

Elle aura trois maris, au gré des alliances et des ambitions familiales. Le premier, Giovanni Sforza, que la famille voudra assassiner à la suite d’un retournement d’amitiés, cela se terminera par un procès en annulation pour impuissance et non consommation. C’est aussi le début des rumeurs (propagées par Giovanni lui-même) qui alimenteront des siècles de spéculations sur la vie sexuelle de Lucrèce. Puis un deuxième mari, Alphonse d’Aragon. Les mariées semblent tous deux véritablement désirer cette union. Le bonheur conjugal est toutefois de courte durée. Nouveau désaccord politique ! La famille tend une embuscade au pauvre Alfonso qui se retrouve étranglé dans son lit. Au dire de tous, Lucrèce a le cœur brisé. Son troisième mariage sera le bon. Le 30 décembre 1501, elle épouse Alphonse Ier d’Este, fils du duc de Ferrare.

C’est la faute à Hugo

Parmi les grands narrateurs de la légende noire de Lucrèce, on trouve Victor Hugo² qui a romancé sa vie pour mieux remplir les théâtres. « Famille de démons que ces Borgia ! » lance-t-il. Toutes les anecdotes sont bonnes pour faire trembler les foules et tant pis pour la vérité historique… À partir du XXe siècle, de nombreuses biographies remettent en question les accusations d’immoralité portées contre Lucrèce, les historiens s’accordent pour l’innocenter des multiples crimes et méfaits qui lui ont été imputés.Plutôt que femme fatale, elle est aujourd’hui considérée comme une victime des machinations de sa famille, incarnation et instrument des ambitions des hommes au cœur des années qui précèdent la Réforme protestante. L’un des récits les plus importants de la Renaissance témoigne du respect qu’elle inspire à Ferrare où a été réclamée l’entrée de Lucrèce dans le temple de l’honneur de la féminité pour sa « beauté et son honnêteté »³.

Née bâtarde, Lucrèce mourut en vraie princesse reconnue comme diplomate, amante des arts, femme intelligente et cultivée, aimée des siens et les aimant en retour. Elle sut élever sa cour au niveau le plus haut de la culture de la Renaissance. Réhabilitons Lucrèce Borgia !

Anne-Marie Chust

¹Adriana Orsini sera son professeur et son approche de l’éducation est sans équivoque : « Avant toute chose, assurez-vous d’avoir quelque chose à dire, puis exprimez-vous avec simplicité et sincérité, en évitant les mots prétentieux. Je veux vous apprendre à réfléchir, et non pas à élaborer des phrases pompeuses. » À méditer…
²Lucrèce Borgia, pièce en trois actes de Victor Hugo (1833).
³Dans Orlando Furioso, par le poète Ludovico Ariosto.

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