Marie-Hélène Fabra-Bratianu, une histoire roumaine

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« Ma mère était descendante d’une grande famille roumaine et mon père historien et homme politique ». C’est ainsi que commence une jolie saga familiale, même si les épisodes douloureux ne manquent pas dans cette histoire de « feuilles mortes » que Marie-Hélène Fabra-Bratianu, peintre-écrivaine, a ramassées à la pelle. Un mélange de deux voix, séparées d’un siècle mais qui résonnent à l’unisson pour que l’oubli ne détruise pas l’œuvre de mémoire de sa famille.

Une transmission inattendue. D’origine roumaine par sa mère et espagnole par son père, Marie-Hélène Fabra-Bratianu possède à la fois la fougue et la profondeur, l’énergie et la fantaisie nécessaires au travail de création d’une artiste-plasticienne. Quand en 2009, sa mère disparaît, elle se rend en Roumanie pour régler les affaires familiales et découvre par hasard les mémoires inachevées de sa grand-mère écrites en français. Alors remontent dans ses souvenirs, des histoires qu’enfant elle écoutait, de réunions avec de vieux généraux roumains, de jeux dans un parc avec le Roi, de gouvernantes allemandes, qui détonnaient beaucoup sur le quotidien français où huissiers et escrocs tournaient autour des comptes bloqués tels des corbeaux affamés. (Photo : M.-H. Fabra-Bratianu et sa mère en 2008)

La violence de la politique.« Vivant dans une famille riche, ma grand-mère a connu la prison pour des raisons politiques. Sa famille était connue en Roumanie, écoutée pour ses prises de position et parce qu’elle symbolisait l’indépendance de ce pays. Quand les Russes sont arrivés, ils ont combattu ceux qui étaient restés attachés à leurs racines, ni féodales, ni communistes, et qui représentaient une pensée moderne, le regard tourné vers un avenir « roumain ». Le Roi Michel avait été forcé de quitter son royaume manu militari et l’atmosphère s’était obscurcie pour les intellectuels ». En 1944, son grand-père décide alors d’envoyer ses enfants en France, persuadé que la situation allait s’envenimer, mais, lui, reste avec sa femme sur place. Très vite, ils ont été assignés à résidence, puis emprisonnés. Il fut assassiné.

Un besoin impérieux. Cette histoire est à la fois celle d’une famille et celle d’une époque. Les 40 pages de ce manuscrit, au plan très détaillé tel un Autant en emporte le vent  à la roumaine, ont incité Marie-Hélène Fabra-Bratianu à se lancer à écrire la suite. Avec un joli récit sur la corvée des feuilles mortes qui ont inspiré le titre de son ouvrage. « Ma grand-mère était incarcérée avec les prisonnières politiques, chargée du ramassage à la main des feuilles mortes, en automne dans la cour. Seules des petites tziganes, prisonnières de droit commun, l’ont aidée en échange d’histoires qu’elle leur raconterait la nuit en cachette parce qu’elles ne savaient ni lire, ni écrire ». Comme elle ne parlait pas roumain, elle a dû batailler sur place pour tout régler et les situations cocasses que cela engendraient lui ont fait penser que sa maman la faisait encore rire… même le jour de sa mort ! C’est comme un travail de deuil que ce livre est né : pour le transmettre à ses enfants et pour que la petite histoire rejoigne la grande Histoire.

Vicky Sommet

La mémoire des feuilles mortes de Marie-Hélène Fabra-Bratianu (Éditions L’Harmattan, juillet 2016, €26,50).

Marie-Hélène Fabra-Bratianu poursuit aussi son enquête sur son passé familial à travers une série d’œuvres artistiques –Archives familiales– en prenant appui sur des photos personnelles en noir et blanc, évocation d’un monde élégant, tantôt insouciant, tantôt chargé d’une gravité prémonitoire : « En un sens, ces peintures sont les fragments d’un dialogue avec des morts, dont parfois je ne sais rien de plus que la forme de leur moustache ou la manière de se tenir. »

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