Irène Frain, ma mère mon merveilleux malheur

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Nourrie au fleuve de la mémoire, la petite-fille devenue écrivaine se raconte pour panser ses blessures intimes et, sans juger ses parents, pour essayer de trouver des réponses à son besoin d’amour inassouvi.

Enfant pas facile à mourir !

Née fragile, avec une espérance de vie incertaine, Irène a survécu et senti qu’il lui fallait retrouver les clés de son passé pour ne pas retomber dans les ornières de ses souffrances d’enfant. Elle a vécu avec une mère « rejetante » ne pouvant l’aimer, à cause de ce qu’elle représentait à cause du prénom choisi par son père se référant à une femme qu’il avait aimée autrefois. Sa mère déjà savait jouer avec les mots, raconter des histoires à ses enfants, à ses amies, et parvenait ainsi à cacher la honte qui entourait la naissance de la petite Irène.

« Je raconte ma mère parce qu’elle est la matrice de mes histoires, mon merveilleux malheur, et j’ai péché à sa bouche à laquelle j’étais pendue, des histoires qui sont devenues les miennes et qui toutes racontent ma quête d’amour ».

Le silence avant les mots

« J’étais l’enfant de trop, rejetée dès que mon père était absent, celle qui se taisait. Il m’aurait été impossible de dire autour de moi : ma mère ne m’aime pas ! ». Malgré des mères de substitution, elle a un jour compris que sa quête d’amour était vaine. Pour preuve, une fois devenue écrivain, sa mère parlait d’elle en l’appelant Irène Frain, par son nom de femme mariée. « Je n’existais pas, j’étais celle qui avait réussi sur le plan social, mais je suis toujours restée l’enfant dérangeant. A tel point qu’elle m’a sommée de ne pas écrire sur notre famille et ma sœur a demandé à mon éditeur de retirer mon livre de la circulation, ce qui était d’une grande violence à mon égard. Progressivement rejetée de ma famille au crime d’écriture, l’échappée narrative m’a permis d’abattre les murs ». Une action qu’elle a interprétée comme une volonté de détruire l’auteur, car l’écriture était son moyen de survie, même dans les pires situations, « mieux qu’un Lexomil ».

Tuer la mémoire

Vivant dans un milieu défavorisé, à l’époque des 15 Miséreuses et avant les 30 Glorieuses, Madame Mère s’échappait de la corvée des enfants, des lessives et du marché en racontant des histoires dans la cuisine de la maison familiale, installée au fond d’une cour que les voisins surnommaient la Cour des miracles et dont les murs semblaient s’ouvrir à d’autres mémoires imaginaires ou mémorielles.

« Je ne voulais pas faire du Zola et j’ai donc peu raconté cet environnement misérable ».

Un peu comme un journal intime, ce livre narre l’entreprise de démolition, mise en place par sa mère et ses sœurs, cause de troubles psychiques guéris grâce à un médecin, anorexie, paralysie, amnésie, qui sont revenus plus tard dans sa vie et qu’elle a vu disparaître avec un accompagnement adapté. Les premières images ne s’effacent jamais et sont toujours des buts de promenade de l’imagination, surtout pour un écrivain qui étanche sa soif à la fontaine des souvenirs.

Vicky Sommet

« La fille à histoires » d’Irène Frain (Éditions du Seuil, septembre 2017)

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