Judith Bout-Commeau, des mots à la matière

0

Née à La Réunion, elle grandit en métropole et suit des études, littérature, relations internationales et chinois. Ce sont ces savoirs qui lui permettront d’embrasser son premier métier, libraire et l’orienteront vers une troisième vie ou une troisième chance, pour devenir celle qu’elle voulait être, une céramiste d’art. 

Pourquoi le chinois ?

« C’est beaucoup plus facile que le latin » avait déclaré le prof au collège « car il n’y a pas de déclinaisons », il avait oublié de préciser qu’il y avait 44 000 caractères à apprendre ! C’est ainsi que Judith est devenue experte en chinois, une aventure intellectuelle qui l’emmène en Chine, la première fois à 17 ans, pour s’apercevoir que la langue de plus d’un milliard de personnes, elle ne la parlait pas, car à l’école on n’apprend pas l’oral. De retour, elle s’est attachée à apprendre à la parler en allant à l’université mais c’est surtout sur place qu’elle a pu s’exercer en se faisant des amis en y retournant un nombre incalculable de fois. « En chinois, on dit être humain et seulement après, homme ou femme. Et l’amour n’est pas très important, l’amour romantique comme nous le pratiquons, c’est l’amitié qui prime ». Elle apportait comme cadeaux à ses nouveaux amis de l’alcool, car on boit beaucoup en Chine, des reproductions de la Déclaration des Droits de l’Homme ou des portraits d’avocats célèbres.

Une langue, des métiers

D’abord libraire dans la grande librairie chinoise de Paris, Le Phénix, où Judith aidait les chercheurs pour trouver des textes originaux, elle exerce ensuite un métier assez rare, analyste de débats où elle résumait les débats sur le vif en séance publique au Sénat, tout en parlant encore le chinois comme secrétaire exécutive du groupe d’amitiés Sénat-Taïwan. Plus tard, un problème à la main fait qu’elle souhaite développer son loisir, la céramique, en un nouveau métier car l’écriture rapide en direct n’est plus possible. Elle commence par le tournage, puis le modelage avec du grès qu’il suffit de mettre dans l’eau pour qu’il mollisse et d’attendre qu’il soit pris pour accomplir d’autres gestes. C’est ainsi qu’elle devient céramiste.

« Après 17 ans de discours à écouter, j’avais besoin d’autres mots pour parler. »

L’Engoulevent

Judith crée un atelier avec des amies pour s’entraider, car la céramique est un travail du feu qu’on ne contrôle pas toujours. Certaines pièces explosent ou changent de couleurs. L’atelier s’appelle L’Engoulevent* en hommage à la Potière jalouse de Lévi-Strauss, le mythe de la place des femmes dans la céramique en Amérique centrale. C’était un art essentiellement masculin jusque dans les années 50, surtout en Asie, au contraire de l’Afrique où les femmes sont très présentes.

« Je travaille par obsession, par exemple sur les cicatrices. J’ai commencé par fabriquer des choses utiles, puis j’ai dérivé vers des productions qui le sont de moins en moins, même s’il y a toujours un petit trou quelque part pour mettre une fleur dedans. »

C’est l’heure pour Judith de transmettre son savoir, l’heure pour des débutants d’avoir un premier contact avec la terre et de se frotter à la fabrication de formes de leur choix dans le cadre de stages qu’elle anime. On peut y apporter des photos ou des croquis, des habits confortables, même si le travail est peu salissant, et attendre de voir sa première oeuvre sortir du four (première cuisson à 950°), toujours un grand moment d’émotion à partager !

Vicky Sommet

*L’Engoulevent, 32 rue des Pommiers à Pantin.

Prochaine exposition : « Reconnexion » 29 rue Charlot, Paris IIIème. Du 9 au 19 mars 2023.

L'article vous a plu ? Partagez le :

Les commentaires sont fermés.