N’ayons pas peur de Virginia Woolf

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Née à Londres en 1882, Virginia Woolf est une écrivaine anglaise qui a révolutionné la Littérature. À l’heure du mouvement MeeToo et des échos de la parole féminine enfin libérée, sa voix résonne et montre à quel point, déjà à l’ère victorienne, cette romancière de génie, dans sa démesure et son esprit visionnaire nous ouvre la voie vers un modèle où les femmes fument des cigares, choisissent librement le sexe de leurs partenaires et s’affranchissent des constructions sociétales.

Une écrivaine émancipée

Une femme a besoin d’un lieu propre pour accomplir un travail d’artiste. Un lieu à soi et de l’indépendance financière, indispensables pour qu’elle puisse devenir une romancière et battre en brèche l’inégalité sociale à laquelle elle est soumise du fait de son genre. Nous sommes à l’époque victorienne, Woolf, grâce à son essai « Une pièce à soi » (1929) vient de se tailler la place de plus grande romancière du 20e  siècle et celle de l’icône de la parité des sexes. Mais son féminisme n’a rien de dogmatique, elle propose l’audace, le risque, la possibilité de choisir n’importe quelle modalité d’existence tout en offrant le dialogue avec autrui.

Une femme qui traverse les époques

En cette toute première moitié du 20e siècle, des artistes  (Mary Mc Carty), économistes (John Maynard Keynes), peintres (Vanessa Bell sœur de Virginia) critiques (Leonard Woolf que Virginia épousera en 1912) refont le monde, se lient d’amitié et ne se quittent plus. Brillants intellectuels, affranchis, non conformistes, ils s’opposent au capitalisme, à l’impérialisme et évidemment à la guerre. Au sein de ce groupe, baptisé Bloomsbury Club, Virginia et sa sœur Vanessa sont les reines et lancent des défis aux deux sexes. Il y règne la fluidité des genres et durant cette époque victorienne une liberté totale et décomplexée.

Sa maison d’édition, un modèle libérateur

En 1917, les Woolf fondent la maison d’édition La Hogarth Press qui publie T.S Eliot, Gertrude Stein et bien d’autres, y compris Virginia elle-même, ainsi que les traductions de Freud et des classiques de la littérature russe. Être sa propre éditrice lui permet de garder son indépendance dans ses choix d’écriture et de faire entendre la voix d’une femme. Sa relation amoureuse avec l’aristocrate Vita Sackville-West, dont est tiré le film Vita and Virginia¹, va lui inspirer le roman Orlando où le personnage masculin se transforme en femme. Il est probable que cet ouvrage transgressif n’aurait pas vu le jour s’il avait fallu l’accord d’un éditeur tiers. Elle peut aussi signer ses œuvres sous son véritable nom, alors que nombre d’écrivaines sont forcées de prendre un pseudonyme masculin pour être éditées, comme les sœurs Brontë ou Georges Sand.

L’écriture pour effacer la souffrance

Elle traduit des chocs intenses en écrivant pour leur faire perdre «  leur pouvoir de blesser »² : les viols répétés de la part de ses demi-frères³ vers 4 ou 5 ans, le décès de sa mère à 13 ans de sa demi sœur à 15 ans, de son père. Puis, les années emportent les amis chers. Durant toute cette période, Virginia connaîtra des épisodes de dépression. Le 28 mars 1941, à l’âge de 59 ans, elle choisit de se noyer. Certes, la douleur est incommensurable. Mais n’est-ce pas dévaloriser cette femme puissante, charismatique, que de la présenter comme victime de ses démons intimes ? Elle a vécu la montée du fascisme, son mari Leonard était juif, sa maison de Londres a été bombardée. Le bourdonnement des chasseurs et la cacophonie du monde la hantaient.

Pourquoi ne pas voir son suicide comme un acte résolument politique à l’instar de Stephan Zweig ou Walter Benjamin, tous deux ayant fui le nazisme et s’étant donnés la mort ?

Avec la guerre, la vie littéraire s’est arrêtée. Mais quelle gloire posthume !  Austen, Brontë, Colette, Duras, Sand, Sarraute, Sévigné, Yourcenar. Virginia Woolf est le neuvième auteur de genre féminin à entrer dans la bibliothèque de La Pléiade.

Michèle Robach

¹Vita and Virginia
²V. Woolf, Instants de vie, Paris, Stock, 2006.
³A sketch of the past (1939)

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