À quoi pensent les jeunes filles : Rosa et Rokhaya ou la provocation pertinente

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Nous avons proposé à quatre étudiantes à la Sorbonne, effectuant leur stage de fin de licence au sein de notre rédaction, de nous présenter, dans le cadre de leur travail de soumission de mémoire, des femmes pionnières d’hier et d’aujourd’hui choisies dans leurs domaines d’études. Vous découvrirez cet été, publiés dans notre rubrique Société, leurs travaux dont les choix vous surprendront peut-être… ou pas !

Marie-Hélène Cossé et Vicky Sommet

Rosa et Rokhaya ou la provocation pertinente

Quelques années les séparent, mais la vision de Rosa Parks et Rokhaya Diallo de la lutte est la même : pour elles, les étiquettes assignées font l’usage de leurs combats. Deux parcours de vie atypiques révélant la puissance de la provocation. Ainsi, la lutte anti-raciste sera féministe !

Rosa, mère du mouvement des droits civiques

Femme, humaine avant tout, mais surtout noire dans une société qui voyait une différence dans les couleurs de peau, Rosa Parks grandit en Alabama durant la période de ségrégation. Victime de politiques racistes, elle était condamnée, tout comme les autres personnes noires de cette époque, à vivre cachée, séparée des personnes blanches. De la lutte pour la reconnaissance des afro-américains sur les listes électorales en 1940, à l’enquête pour viol réalisée dans le cadre de ses fonctions au NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) en 1943, le militantisme occupait une place importante dans sa vie. C’est le 1er décembre 1955 à Montgomery que Rosa Parks se fait connaître. Elle refuse de céder sa place à un passager blanc dans l’autobus. Elle fut arrêtée quelques minutes après et mise en examen. Cet acte  engendra, un an après, l’abolition des lois ségrégationnistes dans les bus. La provocation et la force de ce geste lui valut quelques années plus tard le surnom donné par le congrès des États-Unis de « mère du mouvement des droits civiques ».

Le coup de pied de Rokhaya dans la fourmilière

Si tout le monde semble d’accord pour dire que la lutte antiraciste est encore nécessaire actuellement aux États-Unis, la question du racisme en France est encore tabou. « Notre pays n’est pas raciste » : beaucoup de personnes le scandent. Rokhaya Diallo, militante, éditorialiste et réalisatrice française donne un coup de pied dans la fourmilière. Comme elle le dit dans son livre, « Si le pays se prétend neutre, il semble pourtant se vivre comme blanc et de culture chrétienne. » Ne pas voir les différences de couleurs de peau serait un privilège. Une Noire en France connaît encore des discriminations : on ne précise pas d’une blanche qu’elle est française, pourquoi le préciser quand la personne est noire ? Fervente défenseuse de l’anti-racisme, Rokhaya Diallo cofonde en 2006 le groupe Les Indivisibles, en référence à l’article premier de la Constitution française qui stipule que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». L’association a pour but de sensibiliser au racisme¹.

L’importance de la lutte antiraciste dans le féminisme

Le féminisme fait aussi partie intégrante de la vie militante de Rokhaya Diallo. Elle pointe l’importance de la convergence des luttes, ce qui lui vaut par ailleurs l’étiquette – revendiquée – de « féministe intersectionnelle et décoloniale ». Elle déplore l’aspect parfois bourgeois et blanc du féminisme en mettant l’accent sur les actes islamophobes qui touchent majoritairement les femmes musulmanes mais qui sont pour autant « invisibilisées » dans la lutte féministe. Pour la militante, il n’y a pas de féminisme sans les femmes « racisées » et encore moins en effaçant leur religion. Une fois de plus, la jeune femme s’empare d’une lutte tout en la secouant de l’intérieur.

« Aujourd’hui, l’idée que les femmes blanches définissent pour toutes les femmes la bonne manière de s’émanciper est – à raison – contestée. » Elsa Dorlin, philosophe

Rokhaya est l’une des icônes actuelles du féminisme. La force de la militante se trouve aussi dans sa volonté de démocratisation de la parole. De ses chroniques sur TPMP pour toucher un certain public, aux chroniques sur Mediapart, de ses projets avec l’éducation nationale à ses directs sur LCI, de ses reportages à ses livres, elle tente de faire raisonner ses discours de la manière la plus large possible. Qu’on le veuille ou non, sa puissance se trouve justement dans cette capacité à user de tous les supports possibles pour faire entendre sa voix.

Tout comme Rosa Parks, Rokhaya Diallo utilise la provocation pour mettre en avant une cause légitime. La provocation est leur outil de sensibilisation qu’elles utilisent de manière pertinente. Deux femmes qui, par leur force et leur poigne, font avancer les choses et mettent en lumière la cause antiraciste sans oublier celle des femmes. Toutes deux sont un bel exemple de la nécessité de l’« intersectionnalité ». Bref, des femmes sur tous les fronts qui font de leur vie et de leurs étiquettes, un combat.

Solenn Maray
Étudiante en licence à la Sorbonne
article écrit dans le cadre de son projet de mémoire en collaboration avec Mid&Plus

¹Elle met en place, par exemple, une cérémonie satirique récompensant des personnalités ayant fait des déclarations jugées racistes. D’Eric Zemmour à Jean-Marie Le Pen, de nombreuses personnes n’échappent pas au trophée en forme de banane d’or : une provocation cinglante à laquelle on ne peut pas répondre qui fait grincer des dents à plus d’un raciste !

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