La bohème, ode à mon fils

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Quels sont ces nouveaux nomades qui quittent tout pour partir à la recherche d’un monde meilleur ? Sont-ils les héritiers de la bohème romantique dont l’opus était de réenchanter le monde en opposition à un mode de vie bourgeois, conservateur et pesant ? Quel est leur message ?

Mai 1968

Pour notre philosophe ancien ministre, Luc Ferry, auteur d’un ouvrage sur la Bohème romantique¹, que ce soit dans le mouvement des années 1830 ou dans sa résurgence de 68, l’individu est amené soit à réussir en se trahissant (certains des intellos descendus dans la rue pour s’encanailler n’ont-ils pas finis par être récupérés par des forces politiques organisées), soit à échouer en sombrant dans la misère (les grands départs hippies vers Katmandou où certains sont restés n’en sont-ils pas l’illustration). La bohème est donc par essence éphémère et ne peut survivre. Le coup de grâce a été porté à la jeunesse bohème de 1968, fruit d’une société autoritaire et ennuyeuse, par sa démocratisation.

« Quand dix millions de prétendus bohèmes descendent dans la rue, la bohème ne peut résister, car elle fonctionnait sur une opposition à la société qui ne pouvait vivre que dans la marginalité et l’élitisme. La démocratie et la culture de masse ont rendu la bohème impossible, parce que dans la société de liberté et de transparence médiatique qui est la nôtre, il ne reste plus rien à transgresser […]. » Luc Ferry

Les nouveaux nomades

Peut-on dire aujourd’hui, à l’heure des grands débats environnementaux sur l’avenir de notre planète, que ceux qui prennent la route sont les nouveaux bohèmes des temps modernes ? Il est encore trop tôt pour l’affirmer. Citons nos zadistes qui migrent au gré des contestations et des chantiers en cours (Notre-Dame-des-Landes, le barrage de Sivens, le projet de Center Parcs de Roybon).

Ou bien les gipsies anglais qui ont organisé un convoi pour la paix en partance de Londres direction Stonehenge dans les années 1980 pour protester contre le gouvernement Thatcher et sont restés sur la route. Néobohémiens qui pour certains vivent les yeux rivés au passé et pour d’autres incarnent l’avenir. Vie difficile, mais romantique, hippies voyageurs. Iain McKell², photographe anglais, a décidé depuis 1986 de suivre ces nouveaux tsiganes modernes, nomades écolos en roulottes, adeptes de l’énergie solaire. Il les voit comme les futurs survivants de notre monde des grandes villes et de la technologie, ils sont pour lui le miroir de notre propre existence.

« Au plus profondément de nous-mêmes, nous avons tous un désir de nature et de liberté. Le sentiment qu’il existe une autre façon de vivre et l’envie de remettre en cause les standards établis pour créer une vie pleine. » Iain McKell

Côme, notre fils aîné, diplômé de l’École Vétérinaire de Maisons-Alfort, est parti un matin de février 2012, aller simple pour Auckland, son diplôme fraîchement obtenu abandonné au fond d’un tiroir, sans portable ni ordinateur, une boussole et un couteau en poche. Depuis il marche au bout du monde, sans domicile fixe ni attache, à la rencontre des autres, découvrant de nouvelles routes et de nouveaux paysages… Alors ? Bohémien ? Nouvel utopiste à la Christopher McCandless d’Into the Wild en quête de bonheur à travers indépendance et solitude ? Ou bien aventurier moderne romantique annonciateur d’un monde meilleur et d’une société en pleine mutation  ?

Marie-Hélène Cossé

¹L’invention de la vie de Bohème (1830-1900) par Luc Ferry, Éditions du Cercle d’Art (2012).
²Iain McKell

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