Pour ou contre la féminisation de la langue ?

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La langue française était bien plus égalitaire au Moyen Age. C’est au XVIIe siècle avec l’instauration de l’Académie française (1635) que le fléchissement vers le masculin s’opère. Pourquoi ? Les grammairiens le décrète sans autre forme de procès, « parce que le genre masculin est le plus noble » (Dupleix), « à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » (Beauzée). Ce n’est que durant ces dernières décennies que les débats en faveur d’une langue moins genrée agitent la sphère intellectuelle.

Le masculin l’emporte

En 2012, des enseignants s’insurgent contre la traditionnelle règle « le masculin l’emporte » et réclament « la règle de proximité » (il s’agit d’accorder l’adjectif ou le participe passé avec le plus proche des noms qu’ils qualifient). Quelques années plus tard, Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes encourage l’usage des pratiques d’écriture inclusive comme au Québec. Peut-on écrire des chercheur·se·s. ou des candidat·e·s ? Finalement, ces deux propositions sont proscrites du journal officiel : « le masculin est une forme neutre qu’il convient d’utiliser pour les termes susceptibles de s’appliquer aussi bien aux femmes qu’aux hommes ». Dommage ! Le masculin n’est pas neutre, c’est l’héritage d’une conception hiérarchique des sexes.

La féminisation des noms de métier irrite, en parler est toujours polémique

La controverse est déclenchée en 1984 par la création d’une commission de terminologie chargée de former ou de remettre en usage les féminins de noms de métier, fonction, grade ou titre. Depuis elle a agité le débat et des figures majeures du paysage intellectuel français se mobilisent contre cette intervention publique sur la langue. En 2005, dans la revue Lire, Frédéric Beigbeder écrit dans ce qu’il intitule « Mon premier article réac » « Je ne supporte pas les écrivaines, c’est physique. J’attrape une éruption cutanée dès que je lis ce terme immonde. » Marie Nimier, prix Médicis de 2004 interroge : « Dans écrivaine, il y a « vaine » disent-ils. Et dans écrivain, il n’y aurait pas « vain » ? »

Féminisation des noms et féminisation des carrières sont intriquées

Le lien entre féminisation des titres et des emplois est déjà tissé à la fin du XIXe siècle, même si la plupart des femmes travaillent dans l’agriculture ou dans des postes subalternes de l’industrie. Les conquêtes des quelques privilégiées (avocats, médecins, professeurs) soulèvent toujours de vifs débats, car elle pose la question de l’égalisation des modèles d’emploi masculin et féminin. À travers les polémiques s’exprime la crainte de voir les femmes accéder à des nouvelles carrières réservées aux hommes dans une société où les féminins de noms ont pendant longtemps désigné les épouses des titulaires de poste (ambassadrice pour épouse d’ambassadeur). C’est pourquoi à  partir de 1984, la féminisation des noms sera considérée comme un outil de lutte contre le sexisme. Il s’agit de légitimer l’accès des femmes dans toutes les carrières, à tous les échelons de hiérarchie par la  conquête du titre professionnel.

Certes, ce n’est pas seulement la féminisation des mots qui fera avancer les droits des femmes. Mais c’est heureux de voir la dynamique progresser aussi bien sur le terrain linguistique que politique. Les femmes n’en sont que plus visibles.

Michèle Robach

LIRE Femme, jʼécris ton nom : guide dʼaide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions de Annie Becquer, Bernard Cerquiglini, Nicole Cholewka, Martine Coutier, Josette Frécher, Marie-Josèphe Mathieu, (INaLF-CNRS) Préface de Lionel Jospin, La documentation française, 1999.

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