Au début sept sœurs et un frère, Branwell, puis deux sœurs disparues très vite, une mère partie trop tôt, une servante qui leur raconte des histoires, une tante qui vient aider un père vicaire devenu veuf avec six enfants à élever, un presbytère entouré de tombes dans le petit village de Haworth dans les landes du Yorkshire… et un pensionnat situé non loin et où deux autres sœurs vont mourir de tuberculose et de mauvais traitements.
Enfants de la lande
Charlotte, Emily, Anne et Branwell reviennent vivre au presbytère où leur révérend père leur ouvre des horizons infinis grâce à une éducation très peu conventionnelle, un accès illimité à sa bibliothèque, et une pièce appelée « le bureau des enfants ». Et les voici plongées dans une atmosphère fantasmagorique peuplée de récits de fantômes et de voisins un peu sorciers et une lande à perte de vue, scène de leur monde imaginaire où les soldats en bois de Branwell constituent des personnages fabuleux. On travaille en famille, on est dans la conquête et la rivalité. On confectionne des livres qui imitent les journaux avec une écriture minuscule et une plume aiguisée.
Trois soeurs et leur frère
Charlotte l’aînée, ambitieuse et autoritaire, avec une envie, déjà petite, de découvrir le monde, Emily, une grande fille plutôt sauvage, et Anne, la plus religieuse des trois. Et bien sûr Branwell, le seul garçon, privilégié, un réel talent pour l’art et la littérature, qu’on voulait même envoyer à la Royal Academy, mais aussi Branwell alcoolique, opiomane et neurasthénique qui va d’échec en échec et dont elles assisteront à la déchéance, impuissantes. Branwell, aux multiples talents, comme ses sœurs qui l’admiraient, dessin, écriture, peinture, devenu un pur esprit comme dans ce tableau qui nous reste de lui où il apparaissait entre ses trois sœurs pour s’effacer ensuite laissant un grand vide dans le cadre…
7 romans à elles trois
De vrais personnages de (leurs) romans, elles auraient pu figurer au fil des pages de leurs œuvres. Leurs vies ont été courtes, mais fécondes. Comment ces jeunes femmes vivant quasi recluses ont-elles pu écrire des romans aussi originaux, révolutionnaires et féministes (« Les Hauts de hurlevent », « Jane Eyre », « Le locataire de Whitfell Hall » qui a fait scandale) aux passions humaines exaltées, où les thèmes récurrents de la haine, de la démence, de la trahison et de l’amour se trouvent à chaque page ? Branwell ? Cette Angleterre du XIXème siècle à la fois sauvage et conventionnelle, où les conditions de vie et de santé (la tuberculose les a presque tous emportés) qui régnaient était épouvantables, mais aussi ces paysages à la fois désolés et mystiques ? La progression de la mort qui les engloutit à parfois quelques mois d’intervalle ?
Elles sont en tout cas devenues des icônes de la littérature britannique (ou de la littérature tout court) et les gardiennes du temple romantique et gothique et on leur voue un véritable culte.
La seule survivante
Après avoir publié des poèmes sous des pseudonymes masculins (les frères Bell) qui n’ont eu aucun succès, Charlotte, élément moteur de la fratrie, force ses sœurs à persévérer et chaque sœur travaille à un roman, et pratique de so(u)rcier peut-être, elles créent ensemble en échangeant leurs idées et critiques en tournant autour de la table de la salle à manger. Charlotte, qui survécut quelques années à ses frère et sœurs, mena une vie plus confortable, le succès venu de son vivant, mais assez solitaire, entourée seulement de ses disparus. Elle finit par épouser l’assistant de son père et meurt enceinte à l’âge de 39 ans (le saviez-vous ?).
Elle disait : « Ma maison est modeste et sans intérêt pour les étrangers, mais pour moi elle abrite ce que je ne trouverais nulle part ailleurs dans le monde : l’affection profonde et intense qui lie des frères et sœurs parce que leurs esprits ont été façonnés dans le même moule.» Et toujours le cri des corneilles sur cette lande initiatique…
Anne-Marie Chust