« Eh ! bien dansez maintenant » aurait dit Jean de la Fontaine en écoutant Jocelyne et le groupe Kassav’ chanter le Zouk. Car elle a fait danser le monde entier sur « Kolé séré » et sa vie est indissociable de ses musiciens et de la culture créole qu’elle a si bien défendue.
En Martinique
« Il n’y a pas eu d’esclaves chez les Béroard » disait son père. Même si son nom est originaire de la Ciotat, son ancêtre est arrivé en Martinique juste avant l’abolition de l’esclavage. S’il n’y a qu’un mot pour dire blanc, plusieurs existent pour évoquer les nuances de noir, mulâtre, quarteron, nègre rouge ou chabin. La jeune Jocelyne fréquente l’école des sœurs où elle est discriminée avant d’aller à l’école communale, école qui porte aujourd’hui son nom. Elle écoute à la radio comme les petites filles de France, Sheila, Johnny ou Sylvie mais Radio Martinique passe aussi du jazz, du calypso ou des gospels. Par-dessus tout, elle aime confectionner ses propres habits très colorés et danser lors des « déboulés », le carnaval local où elle découvrira le konpa haïtien.
Du dessin à la musique
École des Beaux-Arts le jour et scènes amateures le soir, Jocelyne lâche le crayon pour la guitare, le pinceau pour le micro. Devenu choriste professionnelle, c’est le succès de « Kolé séré » qui lui permettra d’acheter son premier appartement. L’époque est au « doudouisme » qui montre l’Antillaise coiffée de son foulard et d’une robe madras à carreaux, accueillant le touriste avec un verre de planteur et offrant un bouquet de fleurs tropicales aux visiteurs. « Celle qui n’existe pas dans nos rues » dit Jocelyne. Elle fera sa première tournée au Cap-Vert, écoute du reggae à Kingston, passe de la coupe afro d’Angela Davis aux nattes rastas ornées de cauris, chante en créole « Papou » de Zanini, celui de « Tu veux ou tu veux pas ? », fait le chœur pour Lavilliers dans « Stand the ghetto », bref, Jocelyne est partout là où la musique des Caraïbes est vivante.
Une identité musicale
Le groupe « Kassav’ » (galette de farine de manioc) naitra sans salsa, ni funk, ni rock, mais avec une musique aussi pêchue, le zouk, pour revendiquer leur culture. Jocelyne écrit ses chansons, un duo avec Philippe Lavil, un Zénith et 40 000 spectateurs, elle sort ses propres disques après avoir bataillé pour exister à côté du groupe féminin, Zouk Machine. De Haïti à Luanda, de Yamoussoukro à Abidjan, l’Afrique leur est acquise. Elle chantera avec Maurane ou Mano Dibango, défendra la femme antillaise, fait du cinéma et chante pour les enfants et les émigrés antillais.
Après plus de quarante ans d’existence, Kassav’ continue, même en l’absence de Jacob « Le pain doux » parti sous d’autres cieux, celui dont la voix « a gardé de nos rivières cette usure de rocailles et cette plainte végétale » dit le Goncourt Patrick Chamoiseau. Jocelyne, parolière et interprète, chante encore la vie et l’amour et milite avec conviction pour l’égalité et la fraternité partout dans le monde.
Vicky Sommet
« Loin de l’amer » de Jocelyne Béroard aux éditions le Cherche Midi (mars 2022).