Joséphine, presqu’au centre du tableau

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À quoi pouvait-elle bien penser, Joséphine de Beauharnais, en ce 2 décembre 1804, lorsque Napoléon la sacra Impératrice de tous les Français ?

Sulfureuse Joséphine

À l’impossibilité ou plutôt l’improbabilité d’un tel moment depuis sa naissance le 23 juin 1763, dans une famille de « békés » aux Trois Ilets en Martinique dans une plantation sucrière jusqu’à devenir Impératrice des Français ?  À son mariage arrangé sur le continent avec Alexandre de Beauharnais à l’âge de 16 ans ? À ses deux enfants Eugène et Hortense qu’elle avait toujours tenté de protéger ? À Alexandre encore, grand « tombeur » devant l’Éternel, de qui elle n’avait pas hésité à se séparer et à obtenir une pension (qu’il oubliait souvent de lui verser) devant la Justice (féministe avant l’heure, notre Joséphine…) ? Encore et encore, à ce pauvre Alexandre, pendant la tourmente révolutionnaire, qu’on avait guillotiné juste avant la fin de la Terreur ?

À elle-même, dans la prison, qui avait attendu tous les matins l’appel de son nom pour l’échafaud ? Sa tête avait finalement été sauvée par ses fidèles amies, son « réseau » de filles de bonne famille de l’Ancien Régime. Ces « Merveilleuses »¹ dont elle fera partie sous le Directoire, en des temps où le sang coule moins mais où il faut bien survivre, manger et s’étourdir en devenant la reine des salons et des « parties fines ». Et ce sirop de canne à sucre venu de son île qu’elle aimait tant et qui avait gâté ses dents, ce qu’elle compensait largement avec ce demi-sourire fermé qui lui donnait un air énigmatique et aussi :

« cette souplesse nonchalante qui dans des poses un peu négligées donnaient à toute sa personne une sorte d’exotique langueur. Et ses grands yeux bleu foncé ornés de longs cils légèrement relevés et ses cheveux aux boucles folles qui venaient encore ajouter à son charme indéfinissable. » 

Clairvoyante Joséphine

Pensait-elle à ses secondes noces avec Bonaparte ? Ce général qui ne ressemblait à rien à l’époque et qu’elle avait beaucoup trompé avant qu’il ne la trompe en retour ? À Laetitia Bonaparte, l’odieuse Madame Mère, qui n’avait pas voulu être là pour ne pas la voir couronnée, qui la détestait et qui pensait que tout cela ne « dourerait » pas ? Avait-elle tort ? À ses belles-sœurs qui l’appelaient « la vieille » et ne voulaient pas porter sa traîne au point qu’elle faillit en tomber ? Ou alors pensait-elle à la Révolution ? Ce changement brusque et capital où tout était devenu finalement possible, où le temps s’était accéléré et où la marée, toujours montante, l’avait emportée, comme les cyclones de son île natale, et où Bonaparte était devenu Napoléon dans un rituel de l’ancien temps dont elle était un pur produit ? Elle ne voulait pas qu’il devienne empereur et qu’il commence à penser à sa dynastie. Les rois ne doivent pas être remplacés.

Paradoxale Joséphine

Il s’était épris d’elle éperdument, follement, bien plus qu’elle en ces temps-là, et il lui écrira les plus belles lettres de la correspondance amoureuse². Il lui pardonnera toutes ses dépenses et ses dettes (et Dieu sait qu’elle était dépensière, notre Joséphine…). Il lui donnera même son nom pour la postérité car Rose devient Joséphine : il faut qu’elle ait un nom qui n’ait pas été prononcé par d’autres amants avant lui car il ne veut pas qu’elle ait existé avant lui… Il lui a acheté la Malmaison à Rueil dont elle fera un lieu de pouvoir et un paradis où il y aura un jardin botanique, des serres, des plantes³ et des oiseaux exotiques et où elle sera musicienne et mécène. De ses passions intellectuelles, elle fera un lieu de stabilité pour lui. Elle sera son atout charme, elle le protègera jusqu’à ces dernières années épuisantes, déchirantes et le divorce en 1809. Elle se retire à la Malmaison où elle aurait pu commencer à être… Elle n’aura pas le temps. Elle meurt le 29 mai 1814.

Une héroïne romantique, mais aussi une femme émancipée et résiliente. Napoléon lorsqu’il a appris sa mort dit : « Joséphine était une femme des plus agréables. Elle était pleine de grâce, femme dans toute la force du terme, ne répondant jamais d’abord que « non » pour avoir le temps de réfléchir. Elle mentait presque toujours, mais avec esprit. Je puis dire que c’est la femme que j’ai le plus aimée. »

Anne-Marie Chust
©Sacre de l’empereur Napoléon Ier et couronnement de l’impératrice Joséphine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, le peint par Jacques-Louis David entre 1805 et 1807. Musée du Louvre.

¹Les Incroyables et Merveilleuses sont un courant de mode de la France du Directoire caractérisé par sa dissipation et ses extravagances, en réaction à la sombre tristesse qu’avait répandue la Terreur.
²Napoléon et Joséphine : Correspondance.
³Généreuse Joséphine qui offre des graines et des plantes en provenance de Malmaison aux grands jardins botaniques français, mais aussi à certains particuliers. Elle est aussi à l’origine de l’acclimatation de certaines plantes dans les jardins botaniques de la Côte d’Azur.

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