Mon livre de l’année 2022

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La rédaction de Mid&Plus vous dévoile ses livres « chouchous » de l’année écoulée, ceux qui l’ont étonnée, révoltée parfois, fait frémir, vibrer, ou pleurer aussi parfois. Et vous, quel est a été le vôtre ?

♦ « Arpenter la nuit » de Leila Mottley (Albin Michel, juin 2022)
par Christine Fleurot

Bienvenue à Oakland ! « Cette ville n’est pas réputée pour son sens de l’éthique », mais plutôt pour son taux de criminalité élevé et pour sa prostitution adolescente. Suivez le guide au travers du regard de Kiara, noire américaine de 17 ans, qui en l’absence de présence parentale, essaie de survivre tout en s’occupant de son frère Marcus qui rêve de devenir prince du rap et de Trevor, jeune fils d’une voisine junkie. Sous couvert d’une fallacieuse protection de policiers corrompus, la jeune mineure n’a pour choix que de se prostituer. Inspiré d’un fait divers réel, dénonciation de l’impunité des violences et du racisme des hommes de pouvoir à l’encontre des minorités féminines invisibles, ce premier roman est écrit dans un mix surprenant de langue contemporaine et d’envolées poétiques. Un beau et brutal roman d’apprentissage signé par une talentueuse auteure californienne âgée de 17 ans à sa parution.

♦ « L’ambition du bonheur » de Katharina Fuchs (Éditions JC Lattès, mai 2022)
par Vicky Sommet

L’auteure a mis face à face deux jeunes femmes et deux sociétés, Anna couturière vivant dans la région pauvre de la Sprée et Charlotte, issue d’une famille aisée de Leipzig. Leurs deux destins romancés vont se croiser, amours, familles et carrières, le tout sur fond des deux guerres mondiales vues du côté allemand. Et sans exclure le rôle déterminant du gouvernement nazi, le lecteur découvre la vie quotidienne de ces familles, manque de nourriture, d’essence ou d’électricité, de charbon ou de tissus, la peur et les caves pour éviter les bombardements, les enfants enrôlés dans les Jeunesses hitlériennes et la propagande d’Hitler, un pan de l’histoire des Allemands que nous, Français, connaissons mal, une fresque inspirée par l’histoire des deux grands-mères de l’auteure.

« Apparemment, le barrage anti-aérien allemand avait laissé passer beaucoup plus d’avions que d’habitude. On racontait que l’horrible sifflement qui retentissait entre le lâcher de la bombe et la détonation était voulu, destiné à semer la panique et le désespoir. »

« Stöld » d’Ann-Helén Laestadius (Robert Laffont, août 2022)
par Anne-Claire Gagnon

Stöld est le titre du roman et le nom commun désignant en suédois le vol (d’un objet, d’une chose), en l’occurrence ici d’un renne. Mais pour Elsa, 9 ans, l’héroïne, lorsque son faon, Nástegallu, est assassiné sous ses yeux de petite fille, c’est un traumatisme majeur, où la peur et la colère vont jouer à colin-maillard jusqu’à tant que la femme qu’elle est devenue trouve moyen de rendre justice à ses rennes et à son peuple, les Samis. Une magnifique histoire écrite par Ann-Helén Laestadius, dans un pays attachant et une belle leçon d’humanimalité !

« Le mage du Kremlin » de Giuliano Da Empoli (Collection Blanche chez Gallimard, avril 2022)
par Michèle Robach

À mi-chemin entre fiction et analyse politique, l’ouvrage de Giuliano da Empoli, Grand Prix du Roman de l’Académie Française et finaliste du Prix Goncourt, nous emmène dans les arcanes du pouvoir russe et nous présente à grand renfort d’anecdotes Poutine lui-même, surnommé le Tsar (la description de sa rencontre avec Angela Merkel en présence de son chien est particulièrement suave), et d’autres figures clés de son entourage, comme l’oligarque Boris Berezovski ou le fondateur du groupe Wagner Prigojine, intime de Poutine. On est habilement plongés dans les délires criminels de cette classe de paranoïaques. Dire qu’on comprend leurs mobiles ou les ressorts diplomatiques qui animent la politique russe serait excessif, on reste dans la fiction voire les fantasmes de « l’âme russe », mais on est pris par les analyses psychologiques et les manifestations de l’implacable pouvoir du Tsar. Une chronique brillante et féroce d’un régime funeste.

« Les ailes collées » de Sophie de Baere (JL Lattès, février 2022 – Prix 2022 Maison de la Presse)
par Marie-Hélène Cossé

Tout commence avec le mariage de Paul et Ana, Paul qui se demande s’il n’est pas passé à côté de sa vie en revoyant Joseph invité par surprise à la fête par sa femme, Joseph qu’il n’a plus revu depuis les années lycée, celles où Paul fut harcelé avec sauvagerie à l’école pour l’homosexualité adolescente naissante qui l’a liée à Joseph. Un père absent, une mère qui noie son chagrin dans l’alcool, ses enfants qui la protègent, « Les Ailes collées » raconte une destinée brisée, puis une renaissance. C’est un roman fort, incandescent et sensible sur le harcèlement scolaire, l’homosexualité adolescente, les secrets de famille, la complexité et la force des liens filiaux, l’impossible communication intergénérationnelle sur fond d’amour. Un livre qu’on referme, bouleversé.

« La jeunesse peut être une guerre silencieuse, un champ de bataille, où des jeunes d’à peine 15 ans sont capables de tuer à bout portant leurs camarades. Et cela, sous les yeux des adultes qui sont censés les protéger. »

♦ « Comment font les gens ? » d’Olivia de Lamberterie (Éditions Stock, août 2022)
par Anne-Marie Chust

On rencontre Anna, la narratrice, au cours d’une journée interminable de sa vie parisienne (un peu genre Mrs Dalloway de Virginia Woolf). Anna court partout, elle est éditrice, sous les ordres d’une nouvelle cheffe plus jeune qu’elle qui ne veut publier que du « feel good ». Anna est aussi la fille d’une mère féministe, Nine, qui lui a inculqué des principes forts type MLF, mais Nine est en maison de retraite et perd franchement la boule. Anna a trois filles plus ou moins #MeToo et un mari qui semble avoir une liaison dont Anna ne pensait pas qu’elle pourrait en être aussi touchée… Sous l’apparente frivolité de la vie parisienne d’une femme très bien intégrée socialement et sans soucis majeurs surgit une forme de fragilité face aux évènements, voire d’abattement ou bien d’angoisse profonde qui sourd malgré elle. Heureusement qu’il y a les copines ! Un roman sur la charge mentale dans nos sociétés d’aujourd’hui, écrit un peu à la Sagan, doté d’un humour dévastateur. On dérive dans ce livre vers l’éternelle souffrance humaine, la vie, la mort, on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a ou pas…

« Mahmoud ou la montée des eaux » d’Antoine Wauters (Éditions Verdier, Prix Livre Inter 2022)
par Brigitte Leprince

Un texte bouleversant d’une beauté et d’une poésie exceptionnelles. Malgré la difficulté à parler de la Syrie, Antoine Wauters, écrivain belge, nous entraîne en compagnie de Mahmoud, un vieux poète, sur le lac Assad à la recherche de ses souvenirs. Le village de ce dernier a été englouti par la construction du barrage, la guerre est partout et le pays n’est que chaos. Mahmoud plonge inlassablement au fond du lac à la quête de l’être aimé, des temps heureux et de tout ce qu’il a perdu. Une écriture magnifique en vers libres, n’obéissant à aucune règle, ni strophe ni rimes. La douceur des mots face à l’abomination aboutit à ce moment suspendu néanmoins pétri de douleur.

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