La rentrée littéraire de Mid&Plus

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Une première depuis de nombreuses années, la barre des 500 nouveaux livres ne sera pas franchie cette année pour la rentrée littéraire ! Seuls 490 titres sont attendus d’ici à octobre, 345 français et 145 étrangers, dont 90 premiers romans présentés par de petites maisons d’édition. L’équipe de Mid&Plus est allée faire son marché… comme à l’accoutumée !

©Livres 2022 Mid&PlusLa nuit des pères de Gaëlle Josse (Noir sur Blanc, août 2022)
par Marie-Hélène Cossé

Il faut la maladie du père frappé de « délitement de mémoire » pour enfin révéler le fardeau qu’il porte depuis sa jeunesse lié à un épisode sombre de l’histoire de France et comprendre pourquoi cet homme, devenu guide de montagne, taiseux et violent, a fait porter à sa famille, et notamment à sa fille Isabelle, la narratrice, sa colère et son silence. Après avoir fui pendant des années le village natal et sa famille pour échapper à ce père imprévisible, Isabelle est rappelée par son frère suite à la maladie du père. Gaëlle Josse signe là d’une belle écriture un roman intense, un texte à vif, court – il s’agit d’une sorte de journal sur quatre jours de la narratrice -, qui interroge sur nos choix et nos destins, le poids de la culpabilité que portent les parents et qui vient empoisonner leurs enfants…

« Ton père a une épine dans le cœur Isabelle, ça l’empêche de vivre et ça le rend invivable, c’est tout. Il y a eu de la bonté en lui, j’en suis certain. Un jour, tu feras la paix. […] Il ne parvient pas à traverser sa propre nuit. »

Cher Connard de Virginie Despentes (Grasset, août 2022)
par Christine Fleurot

En tant que lectrice, Il faut savoir parfois braconner en terre étrangère. Plonger dans l’écriture mitraillette, scandée de punchlines de l’autrice de King Kong Théorie est ici une expérience décapante. Dans cette relation épistolaire 2.0 entre Rebecca, célèbre actrice quinqua, Oscar, écrivain reconnu accusé d’harcèlement par Zoé son ex-attachée de presse, devenue bloggeuse féministe, il y est question d’addictions (alcool, drogue, sexe et réseaux sociaux), du vieillissement, de la fragilité des êtres, de leur capacité à avouer leurs faiblesses, voire de les soigner. Avec acuité, efficacité et humour, Virginie Despentes capte les turpitudes de la période masquée Covid-post#MeToo. Commencé sur le ton de l’insulte, Cher connard se prononce au finish affectueusement, l’écoute, l’amitié effaçant l’ardoise.

♦ Récitatif de Toni Morrison (traduction Christine Laferrière, éditions Bourgeois, août 2022)
par Michèle Robach

Pour Toni Morrison, première femme noire à recevoir le Prix Nobel en 1993, il faut se battre contre la tentation de réduire les « races » à leur couleur. C’est cette belle leçon d’universalisme que mettent en scène les deux protagonistes de Récitatif, deux fillettes,Twyla et Roberta, l’une noire l’autre blanche qui se rencontrent dans un orphelinat. D’entrée elles sont à part dans la communauté, n’étant pas totalement abandonnées, la mère de Roberta étant malade et celle de Twyla « aimant danser ». Morrison n’identifie jamais la race de l’une ou l’autre et pourtant cette identité est cruciale. Le lecteur a  beau essayer de détecter les codes, les marqueurs associés à une race ou une autre, il est plongé dans le doute. Ces deux petites filles qui se lient d’amitié à l’orphelinat ne s’interrogent pas sur leurs différences, elles sont juste heureuses, c’est plus tard, que la société les divise. Et cette division apparaitra lorsqu’elles essaieront de se remémorer un épisode traumatique vécu à l’orphelinat. Récitatif nous confronte à nos travers, nos préjugés. C’est très inconfortable, mais salutaire.

©Livres 2022 Mid&Plus Le choix de Viola Ardone (éditions Albin Michel, août 2022)
par Brigitte Leprince

La Sicile dans les années 1960 n’offrait pas aux jeunes femmes la possibilité de décider grand-chose. « Une fille c’est comme une carafe : qui la casse la ramasse. » Que signifie vraiment cette phrase ? Au fil du roman de Viola Ardone, on découvre le déshonneur, l’obéissance, la soumission, la résignation, l’enfermement des femmes. Oliva va dire « non » aidée en cela par un papa tendre, aimant et respectueux. J’ai adoré ce récit pour sa délicatesse, sa belle écriture, ses personnages attachants et une atmosphère lourde qui nous emporte. Ne passez pas à côté !

Le livre des sœurs d’Amélie Nothomb (Albin Michel, août 2022)
par Anne-Marie Chust

Pas de rentrée littéraire sans Amélie Nothomb. Cette année, « Le livre des sœurs », ou devrait-on dire « Le livre des cœurs », un roman plutôt bref (vous ne mettrez pas deux heures à le lire) et comme d’habitude un peu bizarre et surprenant, certains diraient singulier – je dirais pluriel -, un conte cruel où fées et sorcières ne manquent pas et d’une grande inventivité. Une histoire d’amour fou entre un couple au comportement infantile, vivant en vase clos, excluant tout ce qui n’est pas eux, et leurs filles fusionnelles. Tristane, surdouée, leur premier enfant, et Laetitia, énergique et intense, le cadeau ou « l’enfant médicament » de Tristane, toutes les deux en état de vénération réciproque. Elles se créent et vivent dans un monde qu’elles ont construit à deux, qui n’appartient qu’à elles et où elles laissent entrer de temps en temps Cosette, la cousine marginale et Bobette, la tante téléphage. « J’ai une sœur et c’est ce qui m’est arrivé de plus important dans ma vie » répète souvent Amélie Nothomb, en parlant de sa sœur Juliette Nothomb*. Il était temps qu’elle nous le raconte !

*Un livre de rentrée aussi pour Juliette Nothomb, « Éloge du cheval » (Albin-Michel) qui décrit une relation à l’animal qui peut aussi être fusionnelle.

Les vertueux de Yasmina Khadra (Éditions Mialet-Barrault, août 2022)
par Agnès Brunel-Averseng

Une épopée qui ne nous laisse jamais reprendre notre souffle ! Algérie, automne 1914, premier piège de sa vie, Yacine Chéraga, tout jeune garçon jamais sorti de son douar, se retrouve sur le front à tuer du « Boche ». Il rejoint une communauté de « Turcos », tirailleurs algériens, qui marqueront sa vie pour toujours. S’en suivent, des aventures qui l’entrainent de Charybde en Scylla, il boit le calice jusqu’à la lie plus qu’à son tour. Mais sa droiture, sa pureté, sa fidélité, son humanité sont son armure. Yasmina Khadra signe dans ce nouveau roman, une grande leçon de sagesse, de patience et de résilience.

« La vie est une traversée et tu es un simple pèlerin. Le passé est ton bagage. Le futur, ta destination. Le présent, c’est toi. Si ton bagage t’encombre, dépose-le à la consigne. Si ta destination est hasardeuse, sache qu’elle l’est pour tout le monde.Vis à fond l’instant présent, car rien n’est aussi concrètement acquis que cette réalité manifeste que tu portes en toi. »

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