Et si les premières féministes avaient été les Précieuses, non pas ridicules mais en avance sur leur temps, qui avaient fait du Marais le quartier « branchouille » à la mode, où grands bourgeois et aristocrates bohèmes se faisaient construire de magnifiques hôtels particuliers, une petite cour dans la Cour à Paris où l’on pratiquait l’art de la sociabilité et l’on se devait avant tout de briller… comme une pierre précieuse.
« Le Marais est un quartier chic où vivent les vanneaux¹ huppés. » Sylvain Tesson
Mouvement littéraire et artistique
Car notre quartier du Marais attire les écrivains, les poètes, c’est là où se créent les premiers salons, comme celui de la Marquise de Rambouillet ou de Madeleine de Scudéry. On s’y amuse entre beaux esprits, on improvise des poèmes, on discute des derniers sujets à la mode sur un ton qui n’est pas pour déplaire à notre belle Marquise de Sévigné qui est une habituée. On y trouve un plaisir de la conversation, on peut y tester ses bons mots et sa facilité de parole. En cette première partie du XVIIe siècle, ces dames de la noblesse inventent un mouvement littéraire et artistique. Elles n’en peuvent plus de cette Cour manquant de distinction et de bon goût, de ces hommes rustres et sans manières, elles recherchent un langage et un comportement plus courtois et une atmosphère plus raffinée. Elles désirent surtout que l’on accorde plus de prix à leur personne et c’est pour cela qu’elles furent appelées les Précieuses.
Un langage imaginatif et inventif
On aurait tort de penser que ces Précieuses cherchèrent uniquement à se distinguer par leur langage, même s’il est vrai qu’avec leur tendance certaine à l’exagération (euphémisme), à l’emploi de périphrases, de métaphores, de superlatifs, d’hyperboles…, elles nous ont transmis de véritables perles (c’est le cas de le dire !). C’est que leur langage est à tout le moins imaginatif… Saviez-vous qu’un livre est « un maître muet », les dents « l’ameublement » de la bouche, le laquais « un nécessaire », « voiturer les commodités de la conversation » apporter un fauteuil ? Comme les parties du corps ne doivent pas être nommées, les seins deviennent « les coussins d’Amour », le derrière est le « rusé inférieur », les pieds « les pauvres souffrants », on se regarde dans le miroir ou plutôt dans « le conseiller des grâces », la bougie est « le supplément du soleil ». Comprenne qui pourra les conversations ! Pas sûr non plus que les Précieuses aient réellement utilisé ce type de discours de façon assidue. On le trouve surtout chez ceux qui s’opposent à la Préciosité, comme Molière par exemple (même s’il est vrai qu’il s’attaquait plutôt aux dames de province qui voulaient « singer » nos Parisiennes) dans sa pièce².
Par contre, la langue précieuse est inventive et nous avons hérité de nombreuses expressions ayant ce mouvement pour origine comme : s’encanailler, s‘enthousiasmer, bravoure, anonyme, incontestable, pommade.
« Se vouloir libre c’est aussi vouloir les autres libres »³
Loin de la caricature, nos dames savaient à quoi elles aspiraient : être reconnues dans la société car leur intelligence était tout aussi intéressante que celle des hommes. Derrière ce langage affecté se cache pour ces Précieuses une vraie revendication à l’autonomie financière et à l’éducation. Plus facile pour Madame de Sévigné, veuve, riche et libre à 25 ans, que pour ses « copines » Lafayette ou Maintenon, il est vrai. Elles ont été les premières féministes, on les a traitées en chiennes de garde, on a ri d’elles parce que c’était mal vu qu’une femme s’affirme. Mais elles avaient des idées très précises sur l’avenir de la femme. Elles vont même inventer le mariage à l’essai, sont partisanes du divorce et vont vouloir s’élever elles-mêmes sans forcément dépendre d’un homme. Ce sont des femmes modernes, des intellectuelles.
Et l’amour dans tout ça ?
Ce sont aussi des amoureuses qui prônent l’élégance des sentiments à l’extrême, comme au temps pas si lointain des chevaliers et des troubadours. Comme souvent l’amour physique est décevant avec leur mari puisque ce sont toujours des mariages arrangés, elles n’ont pas de plaisir à vivre l’amour et veulent revenir à l’amour courtois (voire platonique). Pour décrire toutes les étapes du sentiment amoureux, on crée la carte du tendre, pas facile d’y arriver au pays de Tendre ! Trois voies fluviales, l’une est une voie directe, le fleuve d’inclination, mais on peut très vite passer du côté de la mer dangereuse et pourquoi pas vers des terres inconnues. En revanche, les autres fleuves sont scandés par toute une série de villages, ce sont autant d’étapes, de progrès vers une forme de perfection du lien personnel. Pour peu qu’on n’ait pas suivi la bonne route, qu’on ait fait preuve de négligence, même de tiédeur et voire d’oubli, alors vous risquez de vous trouver dans le lac d’indifférence, les eaux calmes du rien, de la relation qui ne fait plus sens, qui ne suscite plus d’émotion.
En 2008, la fondation d’entreprise Bouygues a organisé un concours « Premier roman SMS » primant une « œuvre de fiction inédite, écrite en langue française et dont le langage SMS et des messageries instantanées constitue un élément déterminant de la trame narrative » sur le modèle du roman épistolaire, l’utilisation du langage SMS devenant un élément de réalisme. Me permettrez-vous de préférer le style XVIIe ? LOL !
Anne-Marie Chust
¹Vanneau : oiseau échassier de la taille du pigeon, à huppe noire.
²Les précieuses ridicules : comédie en un acte et en prose de Molière représentée pour la première fois le 18 novembre 1659.
³Simone de Beauvoir