Le rire, ce distributeur d’oubli

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Nombreux sont les dessins d’Hokusai¹ qui abordent le thème du rire. Une exposition récente à Tokyo² offre l’occasion de faire un tour d’horizon des travaux scientifiques portant sur le rire et la représentation chez l’artiste japonais de cette émotion complexe qui n’est pas seulement propre à l’homme.

L’ambivalence du rire

Nombreuses sont les disciplines, en particulier chez les philosophes, qui voient dans le rire, une énigme. Certains y voient le sentiment de supériorité du rieur² : le rire est alors moqueur, parfois méchant ou dégradant. C’est le rire qui exclut. On rit face à une personne qui trébuche par exemple. Une autre théorie du rire est celle de l’incongruité³ : lorsque subitement, une situation prend une tournure inattendue, on rit face à des situations d’inconvenance, de faute, de manque de savoir-vivre. Le rire a une fonction d’inclusion et d’exclusion. La troisième approche est celle du soulagement, de la libération face à une situation stressante. « Le rire permet d’évacuer une tension psychique » nous explique Freud (rire parce qu’on est gêné). Il faudrait sans doute ajouter le rire comme arme, quand il s’agit de dénoncer, ironie, caricatures, railleries et satires en tout genre : « L’homme mord avec le rire » relevait Baudelaire. C’est Charlie Chaplin qui tourne en ridicule Hitler en plein régime nazi dans le film Le Dictateur (1940). « Rien ne désarme comme le rire » remarquait Henri Bergson.

Les représentations du rire chez Hokusai

Le rire est difficile à représenter dans l’art. Mais Hokusai nous offre pléthore de dessins qui en captent les instants précis. Il croque sur le vif des personnages touchants, grotesques ou pittoresques aux mille et une manières d’arborer un sourire. Et l’on retrouve les définitions de nos philosophes. Les rires sont parfois joyeux et bienveillants comme celui de Daikoku, divinité du bonheur, homme gras et souriant représenté sur des sacs de riz symbolisant la richesse et l’abondance. Les rires sont spontanés sans arrière-pensées chez des enfants absorbés dans leurs jeux, c’est le rire communicatif. Mais il y a aussi les sourires moqueurs, grinçants, embarrassés de personnages pris en défaut dans diverses scènes de la vie quotidienne. Il y a « le rire avec » et « le rire de ». Les femmes sont représentées lorsqu’elles rient, dissimulant leur bouche avec leur main ou la manche du kimono. Traditionnellement leurs dents étaient laquées en noir et il était impoli pour une femme de montrer ses dents. Il n’est pas rare de retrouver encore aujourd’hui cette réserve chez les Japonaises.  Hokusai est également connu pour les représentations des sourires démoniaques de ses fantômes, esprits malins qui viennent hanter les vivants.

Le rire indispensable à la survie des espèces

Qu’il soit joyeux, bruyant, jaune, nerveux, moqueur ou contagieux, le rire reconnecte le corps et l’esprit. Chez le nouveau-né, le sourire apparaît souvent à l’âge de deux semaines, il exprime la magie du lien qui se tisse avec les parents. Quand au rire, le premier émerge autour du quatrième ou du cinquième mois de vie, tout aussi magique et énigmatique. « Nul n’ira jusqu’au fond du rire d’un enfant » notait Victor Hugo. Mais contrairement à une idée reçue, le rire s’observe chez de nombreuses espèces de mammifères. Des scientifiques ont montré des orangs-outans se tordre de rire, des rats se trémousser d’hilarité quand on les chatouille. Darwin défend l’idée que cette émotion est une manifestation de joie et une façon de renforcer la cohésion du groupe. Le rire servirait au comportement expressif commun du bonheur et procurerait ainsi un avantage social en termes de survie.

Passer d’un visage souriant à un autre, pouvoir à travers leurs représentations saisir l’émotion qui les anime, provoque une énorme bouffée d’endorphines. « Faire rire c’est oublier. Quel bienfaiteur sur la terre qu’un distributeur d’oubli ! » s’écriait Hugo dans L’Homme qui rit.

Michèle Robach

¹On connaît Katsushika Hokusai, peintre, dessinateur et graveur japonais du XVIIIe siècle pour ses estampes inspirées de l’école du « monde flottant » (ukiyo-e) comprenant les vues du Mont Fuji dont la Grande Vague de Kanagawa (1831) qui l’a rendu célèbre.
²Hokusai Humor : Sowing  Seeds of Smiles, The Sumida Hokusai Museum.
²Théorie défendue par Platon, Cicéron, Hobbes et Descartes. Claude Lévi-Strauss rejoint cette vision.
³Proposée par Pascal, Kant, Schopenhauer.

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