Colette, la compagne d’une vie

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Pauline Dreyfus, écrivaine parisienne qui a déjà publié une demi-douzaine d’ouvrages, dont des biographies appréciées, s’est intéressée à une femme de lettres un peu oubliée, Colette, la vieille dame impotente qui a fini sa vie dans un appartement donnant sur le jardin du Palais Royal, recevant d’illustres visiteurs, tel Cocteau, et dont on rapportait les formules choc.  

La mauvaise mère et la fille ingrate

L’intérêt de Pauline Dreyfus est sélectif. Elle n’aime pas la personne : « femme narcissique, mère négligente, épouse peu décidée à jouer le jeu du mariage… « Le personnage, qui a tant fait pour sa légende » ne la séduit pas plus. L’indifférence à l’égard des affaires du monde revendiquée comme une marque de sagesse et un mépris de la « politicaillerie » est considérée comme une limite. Même lorsqu’elle écrivait dans des journaux, « l’évènement » ne la concernait pas. Certains de ses thèmes proches de Vichy, « la terre, elle, ne ment pas », sont intemporels. Une biographie ne peut éliminer ces aspects, même sordides. Cela nous vaut des chapitres qui ne sont pas des plus plaisants pour le lecteur. Bertrand de Jouvenel est à la fois son amant et son beau-fils. Colette avait épousé son père Henry dont la carrière diplomatique fut perturbée par cette liaison scandaleuse. À l’égard de sa fille naturelle, elle n’éprouve aucune sympathie et elle la dévalorise. La fille n’est pas supérieure à la mère, elle est « ingrate et égoïste ». La biographe ne récupère pas Colette en en faisant «  une icône de l’écoféminisme  ou un précurseur de la lutte LGBT ». Cette femme au corps libéré et indifférente aux scandales « aurait détesté endosser une casaque de militante ». Pauline Dreyfus, en revanche, partage  l’amour de Colette pour les animaux.

L’Écrivaine

Ce qu’aime la biographe, c’est l’œuvre : « une poétesse, qui nous fait voir le monde avec des yeux neufs… Le fil conducteur de tous ses livres est une invitation à s’extasier devant  le miracle offert par la nature, miracle qui advient chaque année et donne seul une idée de l’éternité… elle nous enseigne que l’universel se tapit dans l’infiniment petit ». La vie fut pour elle un cadeau et elle lui rendit grâce par l’écriture. « Ses livres s’apparentent à une leçon de style et  de couleurs, très loin de l’écriture blanche en vogue ses dernières années. Sa recette, elle l’a livrée : il faut avec les mots de tous les jours écrire comme personne. » Elle n’avait appris aucun métier. « Je savais grimper, siffler, courir mais  personne ne m’a proposé une carrière d’écureuil, d’oiseau ou de biche. » La lecture en premier de Claudine à l’école  fait glisser Pauline sur un « toboggan d’images et  d’odeurs… une richesse de vocabulaire, une précision des descriptions, bref la poésie. Colette, l’écolière bourguignonne, tient ses qualités de style de ses instituteurs. Elle n’a pas poussé ses études  plus loin que le certificat d’études primaires. Elle est poète  autant par la richesse des images que par son style saturé d’adjectifs.

« Chaque jour à la même heure, elle s’attablait devant sa page de vélin turquoise et observait la courte et dure main d’artisan qui se préparait à écrire. Elle avait le souci du détail, apportant une attention extraordinaire aux petits objets, le grain de l’étoffe, un bijou, un fruit. »

La compagne d’une vie

« Ma vie… » peut aussi être lue comme la confession de Pauline, orpheline à la Colette, des lieux magiques de son enfance. Toutes deux en gardent le traumatisme. Cette « crucifixion » est à l’origine d’un compagnonnage entre la  biographe et son écrivaine. Le livre est dédié à sa fille Gabrielle, le prénom de Colette. Cette symbiose nous vaut son beau premier chapitre, « Habiter et ne plus habiter ». Un matin de 1889, la maison d’enfance de Colette est vendue. Sur les charrettes des déménageurs, il y avait bien davantage que des commodes et des livres. Qu’un autre possède désormais la clé du palais, foule les terres de son royaume, respire sa glycine, taille ses rosiers était inconcevable. De cette vision désolante découlera toute son œuvre. Elle continuera d’appartenir au pays qu’elle a quitté, de voir l’herbe profonde au pied des arbres, de se souvenir du parfum des bois qui égalait ceux de la fraise et de la rose, des nuits d’été où la lune ruisselait sur les meules rondes comme des dunes. La maison « nichée entre la Seine et la forêt de Fontainebleau » où Pauline passait ses week-ends et ses vacances d’été, achetée en 1912 par l’arrière-grand-père maternel avec l’argent de sa femme, a également été vendue pour des raisons financières il y a peu d’années. Le lecteur qui connait les lieux et le contexte sera ému.

Pauline y a guetté avec ses frères « les changements de saison sur les feuilles des marronniers, ces grands arbres en ogive autour d’un escalier à la Hubert Robert, des maisons imaginaires dont les pièces se logeaient dans l’entrelacs des racines ». Elle a observé« la succession, dans la roseraie, des roses de  juin à la glycine d’avril, qui méprisaient en silence ces bâtardes de roses trémières mal fagotées, éblouissant les murs de la maison. Elle a admiré, en fin de journée, le fleuve débarrassé de ses rides apportées par le vent qui devenait miroir, un lac africain selon sa grand-mère ». 

Le parc fut un paradis inépuisable, source d’explorations  de jeux, sublime piédestal à l’imaginaire enfantin. Pauline Dreyfus envie cette Claudine (Colette) « pour qui la fin de la journée en classe signifiait le retour dans les bois, la conversation recommencée avec les fleurs du jardin, puis la caresse aux affectueuses bêtes de la maisonnée . Parisienne la semaine, elle n’avait droit de cité dans son royaume que pendant les week-ends.

Pierre-Yves Cossé

« Ma vie avec Colette » de Pauline Dreyfus (Gallimard, mai 2023)

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