Histoire de la botaniste travestie

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Passagère clandestine de l’expédition Bougainville, déguisée en homme de surcroit, considérée comme la première femme à avoir fait le tour du monde, nous sommes en 1767, Jeanne Barret est aussi une formidable botaniste avant l’heure. Récit d’une aventure hors du commun !

À bord de L’Étoile

Jeanne nait en 1740 en Bourgogne dans une famille pauvre. Au début des années 1760, elle entre en tant que gouvernante au service de Philibert Commerson, un médecin botaniste veuf. Elle apprend à ses côtés à reconnaître et à classer les plantes, les collecter dans des herbiers. Une aventure nait entre eux. Quand le naturaliste est invité à participer à l’expédition autour du monde¹ menée par l’explorateur Bougainville pour classer et conserver les spécimens de la flore locale qu’il collectera à chaque escale, il requiert à ses côtés pour l’aider la présence d’un assistant botanique. La Marine royale interdisant au 18e siècle toute présence féminine sur ses bateaux, Jeanne se déguise et c’est en homme sous le nom de Jean Baret qu’elle embarque le 1er février 1767 à bord de la flûte L’Étoile. Quelques mois plus tard, ils rejoignent la frégate de Bougainville, La Boudeuse, à Rio de Janeiro. Philibert Commerson profite de l’escale pour récolter des spécimens de plantes inconnues².

Chaque échantillon est décrit, documenté, séché et répertorié par le naturaliste et sa courageuse assistante, passant toujours pour un homme, qui non seulement collecte, mais porte le matériel, ne reculant devant rien, méritant le surnom de « bête de somme », peut-on lire dans les récits de l’époque.

Démasquée à Tahiti

L’expédition reprend, traverse le détroit de Magellan, rejoint le Pacifique où elle accoste plusieurs mois plus tard à Tahiti où c’est la troisième fois que les Tahitiens voient des navires européens accoster sur leur île (Cook et Wallis les ont précédés). Les Tahitiens démasquent tout de suite Jeanne (affaire d’odorat paraît-il !) qui sera consignée à bord pour éviter tout incident. Après neuf jours de halte paradisiaque, l’expédition reprend la mer, Philibert Commerson et Jeanne à son bord. Louis Antoine de Bougainville relate sa présence dans ses récits.

« Elle n’était ni laide ni jolie et elle n’a pas 25 ans. Elle faisait attention à ne jamais changer de linge ni faire aucune nécessité devant qui que ce soit. »

Le couple sera débarqué à l’Île-de-France (devenue Ile Maurice) où Jeanne continue à assister le botaniste dans sa collecte de la flore locale jusqu’à sa mort en 1773. La jeune femme commence par ouvrir une taverne à Port-Louis, puis en mai 1774 épouse Jean Dubernat, un officier de marine français, avec qui elle rentrera en France l’année suivante. Elle y fait envoyer 32 caisses contenant 5 000 espèces différentes collectées par Philibert Commerson et elle-même, dont plus de la moitié encore inconnues en France. Un certain nombre se trouve aujourd’hui au Muséum d’Histoire Naturelle à Paris. Jeanne finira sa vie dans le Périgord. En 1784, Louis XVI lui versera une rente de 200 livres, la félicitant de son talent d’aide botaniste et de son courage,  la qualifiant de « femme extraordinaire », la « première avoir fait le tour du monde ».

Jeanne meurt à Saint-Aulaye le 5 août 1807. En 2012, une espèce de Solanaceae découverte en Amérique du Sud est nommée Solanum baretiae en son honneur.

Marie-Hélène Cossé

¹C’est le premier voyage d’exploration scientifique autour du monde des Français ordonné par Choiseul pour deux ans.
²C’est là que sera notamment découvert le bougainvillier ainsi nommé en l’honneur du capitaine de l’expédition et plus tard en Indonésie l’hortensia.

VOIR Bougainville, le voyage à Tahiti – Documentaire d’Arte
LIRE Jeanne Barret de Claude Dutreix (éditions de l’Escargot Savant) – L’aventurière de L’Étoile de Christel Mouchard (Tallandier, 2020) –

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