Joséphine Baker ou le refus de l’assignation

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Avec sa peau ambrée et sa silhouette longiligne, Joséphine Baker cristallisa les fantasmes érotiques en tant que danseuse désinhibée et meneuse de revue durant une grande partie du 20e siècle. Mais outre une fulgurante carrière d’artiste qui fit pâlir Mistinguett, elle fut militante antiraciste et résistante. C’est ce destin hors du commun qui lui vaut le privilège d’être la sixième femme et la première noire à rejoindre le Panthéon ce 30 novembre, jour où elle est devenue française.

Une artiste qui fait bouger les lignes

Noire, artiste, migrante elle va incarner le reflet de la culture française avec toutes ses influences venues d’ailleurs. Étoile montante, elle embrase les planches des Folies Bergères avec son érotisme débridé au point d’être adulée par le Tout-Paris artistique des années folles et d’inspirer des peintres tels que Foujita, Picasso, Picabia ou le poète surréaliste et résistant Robert Desnos. En 1925, véritable événement avant-gardiste au Théâtre des Champs-Elysées, la Revue Nègre où Joséphine s’impose dans le premier rôle, a contribué à la reconnaissance du jazz en France par la découverte de Sidney Bechet. Avec sa musique de jazz-band, sa chorégraphie originale et l’apparition de danseurs dénudés mais sans vulgarité, cette revue, qui deviendra légendaire, va révéler une culture noire qui commence à se détacher des pesanteurs du colonialisme.

En écho, Beyoncé en 2006 interprétera sur scène aux Fashion Rocks,  une « danse sauvage » avec la cultissime jupe de bananes. Une manière de tresser une généalogie avec Joséphine Baker, de se réapproprier un symbole d’asservissement  pour en faire un instrument d’empowerment et de se réintégrer dans la culture noire. Un bel hommage à son icône.  

Un engagement racial, politique et humanitaire  qui vient de loin

Née en 1906 dans le Missouri, Joséphine est issue d’une mère métisse indienne et noire et d’un père d’origine espagnole. Elle sera profondément marquée par la situation ségrégationniste aux États-Unis : les attaques contre les populations noires par le sinistre Ku Klux Klan, les discriminations raciales. Le désir d’échapper à cette misère va la décider en 1925 à s’évader vers Paris déjà saisi par la fièvre noire1 où elle va très vite connaître le succès. Mais sa carrière d’artiste ne la détourne pas des questions politiques. Au début de la guerre, elle entre dans le contrespionnage et fait passer à Londres des informations confidentielles écrites à l’encre sympathique en les dissimulant dans ses partitions musicales. Cela  lui vaudra la croix de guerre, la Médaille de la résistance et la Légion d’honneur des mains du Général de Gaulle. Puis elle s’engage pour le mouvement des droits civiques aux États-Unis, participant en 1963 à la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté et devenant une compagne de route pour Martin Luther King.

Dans la dernière partie de sa vie, elle crée un lieu utopique de fraternité au Château des Milandes en Dordogne où des enfants adoptés de tous horizons vivent en harmonie. Elle dira que cette « tribu arc en ciel » fut sa plus grande satisfaction.

Figure complexe et engagée, Joséphine Baker échappe à la catégorisation. Jouant avec les fantasmes coloniaux, elle est une figure éminemment ambiguë qui a su insidieusement pervertir les stéréotypes racistes de son époque.

Michèle Robach

1.C’est à Paris qu’a eu lieu le 1er Congrès panafricain sur la « race noire » en 1919..En 1921, René Maran est le premier auteur noir à recevoir le prix Goncourt pour son ouvrage « Batouala, véritable roman nègre ». À Clamart, les sœurs Nardal, trois intellectuelles martiniquaises, tiennent salon et Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire sont parmi les habitués.

Le Théâtre de Passy vient de rouvrir ses portes avec Joséphine B, un spectacle musical mis en scène par Xavier Durringer. Une mini revue pleine de swing avec des acteurs époustouflants ! Jusqu’au 2 janvier. 95 rue de Passy, Paris 16e.

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