Laissez-vous guider à l’aide de la sélection de six romans proposée par nos bibliothécaires pour cette rentrée d’automne.
♦ Une folie de rêves de Jean-Daniel Baltassat (Calmann-Lévy, août 2021)
Si les rêves peuvent être fous, l’art peut-il sauver ? Mikelangelo, faussaire et peintre ignoré, achève le ciel de sa fresque, loin des regards, trente mètres sous la colline de Passy et du Trocadéro. Depuis qu’il mène cette vie, il a fait de multiples rencontres. Quand il s’agit de cinq adolescents, des migrants terrorisés, en route pour la mythique Youké, il décide de leur offrir son refuge et du réconfort et peut-être même la force d’atteindre cette « Youké » dont ils rêvent. Jean-Daniel Baltassat esquisse avec délicatesse le point de rencontre de deux mondes pas très éloignés. C’est un beau livre magnétique, généreux, construit autour des personnages qui se révèlent attachants. Un concentré d’émotions construit autour des personnages qui tient autant du conte que du roman.
♦ Le cerceuil de Job de Lance Weller (Editions Gallmeister, septembre 2021)
C’est le récit de deux destins en pleine guerre de Sécession. Celui de Bell Hood, une jeune esclave en fuite qui décide de gagner le Nord en s’orientant grâce aux étoiles. En parallèle, celui de Jeremiah Hoke, un soldat mutilé lors de la bataille de Shiloh, qui part lui aussi en errance à la recherche d’un improbable pardon. Sur cette intrigue dramatique – le périple vers la liberté s’avère dangereux, entre chasseurs d’esclaves, militaires des deux armées et des fugitifs prêts à tout-, Lance Weller dépeint avec force des portraits saisissants, avec en toile de fond les brutalités de la guerre de Sécession. Les événements se succèdent. Mais à cette violence s’ajoute de la poésie avec la description d’une nature simple et sauvage. Horreur et beauté s’entremêlent. Les personnages sont époustouflants et humains.
Quelques moments d’histoire viennent éclairer ce roman porté par une écriture dont le souffle et la puissance d’évocation apportent une ampleur. C’est sombre et lumineux. Une réussite !
♦ L’éblouissement des petites filles de Timothée Stanculescu (Editions Flammarion, août 2021)
Pour son premier roman d’apprentissage, Timothée Stanculescu met en scène Justine, une adolescente âgée de 16 ans. Depuis le divorce de ses parents, elle vit avec sa mère à Cressac et ne voit que rarement son père. Cressac est un village où il ne se passe rien. Jusqu’au jour où Océane disparaît. Un choc pour tous, d’autant que Justine fréquentait le même lycée. Une absence qui se prolonge tout l’été et réveille chez Justine une envie de sortir de son quotidien trop routinier, de rencontrer un garçon. Ses espoirs et ses illusions vont se fixer sur le jardinier de sa mère, beaucoup plus âgé qu’elle. Cela va déclencher chez la jeune fille toute une série de questionnements qui la font passer du désespoir à l’enthousiasme, de l’aveuglement à la lucidité.
Timothée Stanculescu décrit avec beaucoup de subtilité une adolescente d’aujourd’hui, insouciante, insatisfaite. Un récit maîtrisé qui nous rappelle les émotions intenses qui frappent à l’adolescence et exprime le désir absolu du passage à l’âge adulte.
Florence Desgranges
♦ La dame d’argile de Christiana Moreau (Préludes, juin 2021)
Sabrina, restauratrice au Musée d’Art ancien de Bruxelles hérite de sa grand-mère Angela un buste d’une rare beauté. Il lui faut aller à Florence sur les traces de la mystérieuse Costanza qui a signé son œuvre et authentifier la « Sans Pareille », Simonetta Vespucci, muse de Botticcelli et bien-aimée de Giuliano de Medici. Nous parcourons Florence en pleine Renaissance où travaillaient les meilleurs artisans et artistes, une époque troublée ensuite par l’envahisseur français, Charles XVIII, Savonarole et ses sbires s’acharnant à détruire toute œuvre qui n’était pas religieuse. Cette fragile sculpture arriva en Belgique lorsque les Italiens hostiles au fascisme furent envoyés travailler dans les houillères. Angela cacha dans un grenier ce précieux souvenir. Un merveilleux roman, à lire sans attendre !
♦ L’ami de Tiffany Tavernier (Sabine Wespieser, janvier 2021)
Un beau jour tout s’effondre dans la vie de Thierry. Des policiers cernent la maison du voisin et ami. Tant que dure l’enquête, sa femme et lui subissent des interrogatoires, ne peuvent sortir librement. Surtout, ce qui est intolérable, c’est de renier le seul ami qui s’avère être un criminel et un monstre de cruauté. Comment peut-on s’aveugler à ce point ? Jusqu’où peut-on se considérer comme complice ? En quête de lui-même, il part sur les lieux de son enfance et comprend enfin qu’il lui faut abandonner tout ce qu’il a construit pour sauver son couple. Roman d’une grande et rare intensité dramatique avec des personnages au plus près de leur vérité.
♦ Le Colibri de Sandro Veronesi (Grasset, janvier 2021)
Le colibri, c’est Marco. Tout lui échappe, mais au loin brille pour lui une étoile, Luisa, son amour perdu. Il puise sa force dans les lettres qu’ils s’échangent durant les quarante années de leur séparation. Marco est médecin, il est lucide. Le sort s’acharne contre lui, mais l’amour qu’il a pour ses proches, même disparus, donne un sens à son existence. Marco a-t-il une vision héroïque de la vie ? Les époques se mélangent sans cesse, au gré des « pourquoi », des souvenirs plus ou moins prégnants. Il reste le seul survivant des tragédies familiales qui se succèdent. Un ami secourable et sa petite-fille retrouvée vont illuminer sa vie. Roman symphonique où la note grave se maintient en contrepoint.
Avec des ponctuations de joie et de désespoir, d’espérance, de supplications, l’auteur de « Chaos calme » nous emporte dans un récit vibrant et très émouvant.
Béatrice Bothier