Femme de l’ombre : amour insensé ou inacceptable

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La publication dans Le Monde, il y a quelques mois de « bonnes feuilles » de la correspondance de François Mitterrand avec Anne Pingeot, l’épouse secrète, et la lecture (non exhaustive) des 1.217 Lettres à Anne convainc le sceptique qu’il ne doit pas porter des jugements péremptoires et définitifs sur ses semblables, tant ils sont complexes…

Une correspondance de 33 ans

La correspondance amoureuse est de toutes les époques, comme le coup de foudre. Son originalité, c’est la durée, le temps n’a pas usé le lien des premiers jours : « Rien ne s’est affadi ou affaibli depuis sept ans…  je crois que je fais l’amour avec toi depuis le 15 août 1963. » L’amour perdurera jusqu’aux derniers jours : « Tu m’as toujours apporté plus. Tu as été ma chance de vie. Comment ne pas t’aimer davantage ? » écrit-il dans sa dernière lettre le 22 septembre 1995. Existe-t-il une autre correspondance amoureuse- lisible- sur une période aussi longue, 33 ans, qui soit le fait d’un amoureux ayant 33 ans de plus que l’aimée? François, ancien ministre, avait 46 ans, lorsqu’il séduisit Anne, 19 ans, « montée » de Clermont-Ferrand à Paris pour des études, sur qui il devait veiller.

Un épistolier prolifique et impatient

François est un épistolier prolifique, surtout les premières années : une dizaine de longues lettres (35 pages) en janvier et août 1964, plusieurs dans la même journée. Dans les débuts, c’est presque la lettre quotidienne. Lorsqu’il est président, la carte postale écrite en France ou à l’étranger remplace assez souvent la lettre. François est un épistolier impatient et exigeant. Il s’agace lorsqu’il n’a pas une réponse quasi immédiate. Il téléphone et ne supporte pas d’attendre ou de n’avoir pas de correspondant.

L’éloge de la bien-aimée et de son corps

Le contenu des lettres ne diffère pas pour une part de ce qu’écrit tout amoureux : déclarations d’amour et narration de la vie quotidienne. La bien-aimée est affublée d’un grand nombre de surnoms et de qualificatifs tendres. « Mon adorable Nannon, Namour,  Animour, Anne de beaux jours, Anne gourmande, Anne songeuse, Turlupineuse, Anne de la Garenne fiancée sauvage et pure. » La dimension érotique est présente : « Ton corps, ses pleins et ses creux ; sais-tu que ce trésor rend insensible aux fatigues du temps ? »

Un amour insensé qui surmonte les obstacles

Correspondance classique entre deux amoureux, mais aussi correspondance entre deux êtres que tout oppose. L’âge d’abord, le quadragénaire s’interroge. Obstacle de son infidélité également écarté : « Heureusement, je suis infidèle. Aimer deux femmes à la fois, rien de mieux pour l’émulation du cœur. » Silence sur l’amour officiel, alors que les deux fils sont évoqués. L’enfant apparaît et l’amoureux transi se double in fine d’un père tendre et émerveillé : « Mazarine me prend l’heure merveilleuse avant son sommeil et me laisse tout étourdi quand je descends, l’escalier, ravi… que sa voix m’est douce. »

Un amant séducteur débordant de vitalité et de talents

À la lecture, on devine ce qui a séduit Anne. Son amant, dans la force de l’âge, a des centres d’intérêt innombrables et sait faire partager ses passions. C’est un amoureux des grandes marches à la campagne qui ne craint ni le chaud ni le froid, un terrien sensuel heureux dans la nature, sensible aux odeurs, aimant la forêt et les fleurs C’est aussi en ville un urbain épris d’histoire et un flâneur qui fait halte chez un antiquaire, un libraire, un disquaire, aimant les choses rares et respectant les goûts de l’autre. Un organisateur de week-ends culturels visitant les musées.

Deux vies distinctes

Certes, leur mode de vie est très différent, ils sont souvent séparés. Se console-t-elle en lisant les descriptions qui émaillent les lettres ? Ou des choses vues lors de longs voyages ? Il est des aspects de sa vie moins séduisants a priori pour une jeune fille : le lecteur boulimique qui avale journaux, revues, livres d’histoire et romans, en faisant preuve d’un grand éclectisme. L’écrivain détaillant ses difficultés d’auteur. Le golfeur, assidu et vantard qui compte ses coups.

Quel amant et quel homme !

Pierre-Yves Cossé

Lettres à Anne 1962-1995, Collection Blanche Gallimard, octobre 2016,1.200 pages, €35.

Laurence Cossé quant à elle penche plutôt pour un Triomphe du machisme… Elle entend l’entretien d’Anne Pingeot avec Jean-Noël Jeanneney sur France Culture (« À voix nue ») et écrit dans La Croix : « Les lettres et le journal sont de lui seulement. Aussi n’est-il pas sans intérêt de l’entendre, elle, donner son point de vue sur leur relation. Espérons que les jeunes filles d’aujourd’hui vont écouter attentivement ce témoignage et se dire : Moi, jamais ! Espérons qu’elles refuseront d’être jamais la femme tenue dans l’ombre, la femme cachée, la clandestine. Espérons qu’elles comprendront que la passion peut être l’ennemi de leur dignité, de leur intégrité, de leur joie. »

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