Un salon littéraire hors du commun

0

Celui qui n’a jamais écrit ne connait pas le sentiment de déréliction, de solitude froide, d’abandon auquel il faut chaque fois se confronter. L’écriture, quelle qu’elle fut, si ce n’est d’une lettre, relève toujours du défi, – défi quelquefois au monde ou aux abysses, mais le plus souvent à soi-même. On cherche, on creuse à l’intérieur de son inconscient tout ce que l’on n’a pas encore dit dans un silence qui ne semble jamais finir.

London Writers’ Salon

Deux jeunes auteurs et éditeurs britanniques ont décidé, idée née pendant le confinement, de tendre la main à tous ces solitaires. Si la situation des auteurs britanniques est toutefois plus honorable que dans les pays francophones¹, leur fragilité économique, mais également personnelle – perpétuels exilés -, n’en reste pas moins grande. Née de presque rien, une caméra, un logiciel, zoom, et l’envie de partager, d’aider, de conseiller, de ne plus abandonner cette part active de notre société dans la plus totale déshérence, Parul Pavishi et Matt Trinetti ont donc créé ce qui aujourd’hui s’appelle le London Writers’ Salon. Au départ quelques jeunes venaient y passer chaque matin de 9 heures à 10 heures (heure française) une heure à écrire ensemble, dans le silence. Aujourd’hui presque 200 personnes y sont présentes.

Dans les premières minutes, on s’y encourage, par des mots, des citations, on se parle, on échange, ensuite, on écrit, ensemble – chuuutt, hors du monde, mais cette fois, bel et bien, malgré tout, au centre de celui-ci.

On y vient du monde entier

Prouesse extraordinaire de ces deux jeunes qui depuis ne cessent de développer leur concept. Des groupes d’écriture de poèmes, de scenarii, de blogs (entre autres) mais aussi des Masterclass se sont montées. Des interviews d’auteurs célèbres, de blogueurs, d’agents, dramaturges, journalistes sont régulièrement réalisées. À force, les uns et les autres se connaissent, s’entre-aident. Les formules proposées sont gratuites, ou à des prix d’une extrême modestie. Tout s’y passe en anglais, mais on y vient du monde entier, de France, d’Australie, des États-Unis, d’Asie… Ironie que ce jeune homme, Matt Trinetti, qui avait créé « Escape to the Woods » (« S’échapper dans les bois »), soit aujourd’hui l’animateur d’un site où la grande forêt est celle qui vient abriter des auteurs cherchant leur inspiration et surtout une vocation qui ne relève plus de l’enfer – car, entre chaque branche, chaque feuille, dans le bruissement du papier, la lumière traverse enfin l’écran.

Espérer que demain soit meilleur

Grâce également à l’expérience dans l’édition de Parul Pavishi, le dédale des bourses, des démarches auprès des éditeurs ou des agents sont expliquées, facilitées. La fétide coterie parisienne hélas n’y est pas écorchée, et pour cause, Londres possède ses travers mais pas celui-ci. On apprend cependant pour les auteurs francophones à revoir ses perspectives éditoriales et à réfléchir selon des angles d’attaques très différents. Si seulement des auteurs français avaient également cette idée, nous serions un peu plus nombreux encore, à espérer que demain soit meilleur, – que le langage écrit, fut-il de Facebook, véhicule enfin un idéal altruiste, porté sur et par la vie.

Comme le cita un matin Parul Pavishi : « La créativité n’est pas un mouvement solitaire. Il possède son propre pouvoir, pour celui qui l’entend, le voit, le sent, le connait ou le nourrit. L’acte de créativité peut faire, qu’un jour, le torrent brise la pierre. » Clarissa Pinksola Estés, Women Who Run with the Wolves.

C’est la première fois qu’une main se tend vers ceux dont on fantasme l’imagination, le quotidien ou le soi-disant « succès », sans voir leurs réelles conditions. Une main heureuse, une communauté sympathique, généreuse, un lieu où créer tient aussi du don. Un petit coin de félicité !

Daniella Pinkstein
Écrivaine, philologue, spécialiste des minorités en Europe centrale, 
auteure de Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles aux Éditions M.E.O (2015)

London Writers’ Salon

¹La situation des écrivains dans les pays francophones tient purement du monstrueux. Vivant au-dessous du seuil de pauvreté pour leur très large majorité, confrontés gratuitement à des prétendues signatures dans des bibliothèques désertées, sans aucun droit, dépossédés même de leurs écrits, – leurs droits d’auteur n’appartenant qu’aux éditeurs -, jetés pour quelques sous par ces mêmes seigneurs du papier dans des Ateliers censés éduquer quelque absurde génie de la romance, sans même possibilité de la moindre allocation chômage, les écrivains vivent en marge de leur propre vie. Ils sont en France, dans ce pays amoureux « des Lettres » encore livrés aux affres les plus indécentes, à l’instar d’une épouse répudiée, abandonnée en bord de route, avec comme seul bagage son maigre réticule. Pour ceux dont c’est la vocation, et donc l’unique vie, l’enfer de leur passion ne laisse pénétrer aucune lumière.

L'article vous a plu ? Partagez le :

Les commentaires sont fermés.