Alix Baboin-Jaubert, Compostelle 60 jours chrono

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Faire le Chemin en une seule fois (1.800 kilomètres) et en deux mois, en partant seule de la Tour Saint-Jacques (Paris) par un petit matin froid de janvier, quelle audace et quel courage ! Comment et où donc cette pèlerine des temps modernes a-t-elle trouvé l’énergie et la force de partir en solo au coeur de l’hiver pour marcher d’une seule traite vers Saint-Jacques-de- Compostelle¹ ?
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Vous connaissiez déjà le Chemin ?
Oui, très bien même, puisque chaque année depuis 2007, début juillet, je pars avec un groupe de douze amies une semaine sur le Chemin. D’ailleurs j’entamerai la dernière étape cet été.
Pourquoi choisir de partir l’hiver ?
Il y a beaucoup moins de monde sur la route et dans les gîtes que l’été. C’était aussi un bon moment dans ma vie professionnelle et privée (mon dernier fils venait d’avoir son bac). Pourquoi attendre alors ?
Quel serait le meilleur moment pour partir selon vous ?
Pour moi, juillet et août. Le pire, mai et juin, le Chemin est plein de monde.
La tenue et l’équipement ?
J’avais un sac de sept kilos sur le dos avec le minimum c’est-à-dire une tenue de rechange et une Bible, même pas de serviette de toilette, ça prend trop de place et trop de poids. Chaque soir en arrivant à l’étape, je me lavais en ne me séchant soit pas, soit avec ma chemise de la journée que je lavais ensuite avec le reste de ma tenue (le tout sèche tant bien que mal sur les radiateurs).

Où dort-on ?
J’ai passé 30 jours en France et 30 jours en Espagne. En France, j’ai dormi soit dans des gîtes municipaux ou religieux, soit au hasard des relations familiales des portes s’ouvrent pour une nuit dans les villes ou villages traversés. En Espagne, j’ai dormi dans des gîtes. Les nuits dans les logements ruraux en France ont été bien solitaires. Arrivée en début d’après-midi, j’allais prendre la clé à la mairie et me retrouvais seule à dîner, après avoir marché et passé la journée déjà toute seule… Je comprends mieux maintenant pourquoi les gens vont au café : retrouver un peu de chaleur humaine !
À quoi ressemble une journée ?
Lever 7h00, départ à 8h30 après un solide petit déjeuner et ensuite six heures environ de marche. J’arrivais généralement à l’étape vers 14h30, après avoir parcouru environ 25 à 30 kilomètres par jour. J’ai parfois poussé à 40 kilomètres… Après une douche et avoir lavé mes affaires de la journée, j’envoyais un SMS à mon mari pour dire que j’étais bien arrivée, j’écrivais quelques notes dans un carnet et puis je me couchais assez vite, 20h30 ou 21h00. Chaque soir, je repérais où dormir le lendemain en consultant mon guide.
Des courbatures ? Le corps souffre ?
Non, pas pour moi. Je suis une bonne marcheuse, habituée à de grandes randonnées.
A-t-on froid ?
La nuit oui parfois (surtout en Espagne où le chauffage est coupé pendant la nuit), en revanche sur le Chemin, malgré la neige et la pluie qui étaient au rendez-vous, jamais. J’avais plutôt des rigoles de sueur qui coulaient le long de mon dos en marchant… Mais je dois dire que je ne suis pas frileuse.

Qui rencontre-t-on sur le chemin ?
Pas tant de croyants que cela. Je dirais 15 à 20%. Les autres sont là pour l’imaginaire, la poésie, pour remettre les pieds dans les traces des pèlerins qui l’ont fait 1.000 ans auparavant, car les gens sont inquiets, ils ne se satisfont pas de la vie moderne, or la nature a horreur du vide. Il y a aussi beaucoup de retraités. Plus on vieillit, plus on se rapproche de l’essentiel non ? Un dicton dit qu’il a plus de pharmacies ouvertes sur le Chemin que d’églises. Les prêtres ne sont plus assez nombreux pour que les églises restent ouvertes. Le Chemin de Compostelle est une marche spirituelle au sens large.
Avez-vous partagé vos journées avec d’autres marcheurs ?
On fait de belles rencontres, mais non, je préfère marcher seule. Je marche vite. Quand on traverse la Beauce et qu’on se retrouve à parcourir quatre kilomètres dans la fameuse terre amoureuse qui colle aux semelles, on est content de ne pas être avec l’amie qui est prête à abandonner ou gémit pendant tout le parcours… En chemin, on prie, on offre ses intentions, celles que les autres vous ont confiées. Certaines de mes amies m’ont dit écouter de la musique ou bien des cassettes enregistrées de débats philosophiques ou spirituels. J’ai parfois regretté la musique et le manque de lecture le soir.

Votre plus mauvais souvenir ?
Un jour j’arrive dans un gîte pas loin de Burgos vers 14h00. Il devait ouvrir à 13h00, or à l’intérieur, rien ni personne, sauf de la poussière. Un homme arrive bientôt en voiture et m’explique que le lieu est en travaux. Je comprends qu’il est entrepreneur. Fatiguée, je lui demande de m’emmener à Burgos pour la nuit à 14 kilomètres de là. Quand il me dépose en ville, il me demande « un beso ». Je me méprends sur sa requête en pensant à un baiser amical, mais je comprends en m’approchant qu’il attend plus. Je descends vite fait de sa voiture, un peu mortifiée…
Votre plus beau souvenir ?
Je suis à Tours sous des trombes d’eau, perdue, essayant de trouver mon itinéraire. Je rentre chez un opticien qui n’arrive pas à m’aider quand arrive un livreur adorable qui m’explique comment me retrouver, finit par m’emmener dans sa camionnette pour me montrer la bonne direction, me recommande de ne plus marcher du côté droit de la route « là où les gens vont m’écraser car ils sont sur leurs portables et ne me verront pas (sic) », mais d’être toujours sur le côté gauche. Il est aussi prêt à partager son repas avec moi. Je suis touchée par tant de gentillesse et de sollicitude.
Avez-vous maigri ?
Oui, 3 ou 4 kilos en moins…
Et le retour, pas trop difficile ?
Non, il faut vivre avec les grâces reçues. On revient aguerrie, fortifiée, régénérée. La vie reprend son cours.

Il y a toujours une raison pour se lancer dans la belle aventure du Chemin qui dépasse souvent la simple randonnée ou le pèlerinage religieux initiaux… Un grand nombre des marcheurs de Saint-Jacques considèrent le cheminement comme une étape dans leur vie, un moment qu’ils consacrent à eux-mêmes pour se ressourcer par une pause intelligente et constructive et prendre le recul nécessaire pour regarder sa vie ou l’améliorer. Certains partent à la suite d’une promesse faite à eux-mêmes ou à un proche. Chacun a sa motivation propre et secrète et si l’inspiration d’Alix semble avoir été au départ une marche religieuse, ce qu’elle a découvert en chemin et la finalité profonde de son départ resteront son secret.

Marie-Hélène Cossé
*Article translated by Artemis Sfendourakis for My French Life.
Première publication : 23 avril 2015

¹Partir à Compostelle est devenu très à la mode (plus de 200.000 pèlerins par an). À pied ? C’est le cas de 87% des pèlerins. Une femme ? Rien de très original (44% sont des femmes). 54 ans ? Non plus (56% des pèlerins sont âgés entre 30 et 60 ans).

Alix Baboin-Jaubert, journaliste gastronomique à ses heures, a créé un site internet de savoir-vivre à la française,  www.savoirvivrealafrancaise.fr. Beau projet qui correspond bien à cette Mid&Plus pleine d’énergie qui ne manque pas d’idées puisqu’elle a aussi monté un réseau de femmes, créé un groupe de rencontres de jeunes adultes en mal de lien social et écrit un livret des bonnes manières Bonnes manières et politesse, auriez-vous le prix d’excellence ? (Éd. Les Petits Cahiers Larousse, mars 2015, €4.99).

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