Séverine Dabadie, au regard des âmes

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Ses deux terres sont Bénarès en Inde et le Pays Basque… Sa photographie se veut sensuelle, organique, émotionnelle et patrimoniale. Portrait de Séverine Dabadie.

« Je suis photographe depuis l’enfance »

À 10 ans, Séverine vit à Socoa et lorgne déjà sur le boîtier Olympus de son père. À 15 ans, c’est la révélation dans le labo du Lycée Saint Thomas d’Aquin : «  J’ai vu ma première photo apparaître dans le bac de révélateur ! J’étais fascinée ! Un miracle… J’ai su que je ferai de la photo. » Adolescente, elle obtient son propre labo. À 18 ans, elle se faufile dans les concerts de Nougaro, Gainsbourg, etc. À 19 ans, son premier job -très formateur- le filmage dans les rue du Saint-Jean-de-Luz estival : « Mon appareil photo devenait le prolongement de moi-même, de mon regard. »

Une photographie humaniste

Henri Cartier-Bresson a été le plus grand choc esthétique de sa vie. Il disait : «  On ne prend pas la photo, c’est la photo qui vous prend. » Séverine aime la photographie qui parle aux gens, qui parle des gens. Pour elle, c’est un but, mais aussi un moyen : « Parce que je fais de la photo, je voyage, je rencontre de nombreuses personnes que je n’aurais jamais rencontrées autrement. Ma vie et mon travail son parfaitement imbriqués. Je ne suis certainement pas la meilleure des photographes mais depuis très jeune, je suis imprégnée par l’action de photographier, j’ai parfois un enthousiasme débordant… ». Cette grande nostalgique adore l’idée d’immortaliser. « Photographier vous donne un pouvoir presque divin ! Garder le souvenir d’un paysage, d’une émotion, d’une lumière, d’un savoir-faire, d’une vague… »

Bénarès (Varanasi), la ville de lumière

Elle a 14 ans lorsque, fascinée, elle tombe sur un reportage à propos de Bénarès. « Un jour, j’irai en Inde », se promet-elle. Ce ne sera que 24 ans plus tard qu’elle connaîtra Bénarès : « Pour moi, l’Inde, c’était Bénarès. La première sensation en marchant dans les rues de cette ville, c’était d’avoir déjà vécu là… Il y avait quelque chose de troublant et naturel à s’y sentir chez soi, un vrai choc émotionnel ! » Tout est exacerbé en Inde ! Le meilleur comme le pire. Le psychiatre Régis Airault a décrit et étudié « le syndrome océanique ressenti en Inde par les voyageurs ». Séverine y a vécu d’immenses tristesses et d’immenses joies. « L’Inde m’a rendue plus perméable aux émotions. Certaines m’ont bouleversée. J’ai appris la souplesse d’esprit, la patience… » À Bénarès, la photographe saisit émotionnellement la sensation d’éternité. « C’est la ville où chaque Hindou rêve de voir ses cendres immergées dans le Gange, on atteint alors la mosksha, la libération finale de l’âme, le Nirvana. »

©Séverine Dabadie

«  Je voudrais obtenir leur part d’humanité »

Depuis longtemps, les Indiens ont compris que Séverine n’était pas là par hasard, dix-huit (très longs séjours) lui ont appris à mieux comprendre la ville, ses habitants, ses pèlerins. Elle a publié deux livres chez des éditeurs indiens, exposé son travail à la Kriti Gallery de Bénarès. « J’aime ce qui imprègne la vie des gens et que l’on ne peut connaître que lorsqu’on s’immerge vraiment. Les codes sont différents, je les ai appris, je les respecte. Je voudrais obtenir leur part d’humanité et je suis prête à leur donner la mienne. Je veux que cela soit sincère. Quand on l’est, on peut commencer à prendre de bonnes photos… »

Les visages de ceux qui ont la foi

À Bénarès, la mort est omniprésente. Elle sillonne la ville. « On l’apprivoise. Des gens très âgés viennent encore mourir à Bénarès. » Séverine se décrit comme une grande nostalgique : « Je suis fascinée par la foi. Les visages sont alors extraordinaires. C’est d’une beauté absolue que de s’abandonner à un ou à des dieux, à des rituels, à des liturgies. J’ai également travaillé sur l’Islam en Inde car j’avais l’impression que le sujet était peu traité. Cela m’a passionnée. » Le matin, elle se lève tôt et part sur les ghats (escaliers sur les rives du fleuve) puis dans les ruelles jusqu’à midi. « Mr Tiwari, un ami brahmane, m’apporte souvent du chulha matar et on le mange sur son « chauki », ce lieu où s’exécutent les rituels religieux. » Beaucoup de ses amis indiens ont compris qu’elle était sensible au piment… Alors, comme Mr Tiwari, ils lui préparent des aliments doux… Séverine a appris leur langue, l’hindi. Claude Hagège, célèbre linguiste, notait que l’on n’habite pas un pays mais plutôt une langue. C’est une manière de mieux habiter le pays que de s’en imprégner. Ses mots préférés en hindi : Pyar, l’amour et Kashi (Bénarès-Varanasi), la lumineuse.

« Le miracle, c’est qu’après dix-huit voyages, je ressente toujours cette illumination. C’est un pays qui peut passionner mais qui, émotionnellement, n’est pas confortable.»

Démarche ethnographique et sociologique : Airosa, laxoa, bergers…

« Depuis l’enfance, j’avais envie d’embarquer sur un bateau de pêche, de partager la vie des pêcheurs, de savoir ce qui se passait au-delà de la digue de l’Artha… » Surmontant sa timidité, elle rencontre le patron de l’Airosa, elle réalisera toute une campagne de pêche à la canne et à l’appât vivant à la poursuite du thon rouge. Avec Christiane Etchezaharreta, elles ont tenu à rendre hommage à ces marins pratiquant une pêche responsable et raisonnée :  « J’avais une mission, une démarche patrimoniale ! » Elle a fait pareillement avec le laxoa, la modalité de pelote basque la plus ancienne. « Sa valeur esthétique, patrimoniale et sa fragilité m’ont donné l’envie de mieux le faire connaître, de sensibiliser le public. Le laxoa, c’est la pelote des origines à l’état pur ! » Par la photographie, elle aime garder des traces de ce qui est en danger d’effacement…

©Séverine DabadieDe même avec les bergers¹ : « Il n’y a plus beaucoup de bergers qui transhument et font leur fromage en montagne. C’est important de témoigner de ces traditions, de ces savoir-faire ; j’aime m’effacer, mettre en valeur le sujet. » Elle plonge dans ses « missions » avec passion.² « J’ai une manière organique de photographier. Je veux que l’on sente la sueur, les larmes, les émotions, que cela suinte l’humain, que l’on entende les rires… »

Ce chemin inconnu crée le voyage. Séverine Dabadie s’approche, apprivoise, veut connaître sans s’imposer. Elle plonge dans le vaste monde, celui des bergers, des pêcheurs de Saint-Jean-de-Luz, des Indiens de Kashi. Huit livres publiés en témoignent. Elle marche, embarque, attend en silence, observe. Elle est dans la scène et en même temps se tient hors champ pour mieux saisir l’instant décisif ; elle organise ce pas de côté pour transmettre la beauté, le sauvage, l’ignoré, l’invisible, capter ce qui est sur le point de disparaître. La légèreté et la profondeur de son regard sont perceptibles dans ses images. Elle prend corps dans cette approche ; elle prend à cœur de comprendre toutes les humanités. Dans la fidélité émotionnelle d’une âme qui cherche.

Brigitte Alter

¹Une de ses photos de transhumance au Pays Basque est actuellement exposée par le Sénat à Paris sur les grilles du Jardin du Luxembourg dans le cadre de l’exposition du Collectif des photographes de l’Agence Only France, « Ailleurs en France ». Jusqu’au 14/07/2024.
²Retrouvez plus d’infos et sa bibliographie sur son site. À noter que deux nouveaux et beaux livres de photographies sur l’Inde seront publiés par Séverine à la rentrée prochaine de septembre. Toutes les informations nécessaires sont disponibles sur la page d’accueil de son site.

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