L’âme de la lessive

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J’ai toujours aimé « faire une machine ». Je trouve que l’existence, à un moment, prend ses racines et son sens dans la lessive. La lessive précède l’essence, mais suit les sens… Coton ou acrylique, peu importe. 30, 60, 90° C. Laver son linge prend part de la réalité vécue, acceptée voire aimée.

Autrefois, les femmes se retrouvaient au lavoir…

… et parlaient. De tout, de rien, du village, des affaires de moeurs, des ragots, des potins, des récoltes, du mari grognon ou de l’enfant voyou… Et « laver son linge » devenait alors un exercice de propreté, d’appropriation. Mais aussi un moment partagé ensemble, une complicité féminine. Laver son linge peut donner du génie à la parole (et d’ailleurs une marque ne s’y est pas trompée Génie sans frotter, Génie sans bouillir…). Autrefois, dans ces lavoirs, en tapant sur ses draps, le grand air souffle ses particules élémentaires, l’eau circule, éclabousse, le savon râpe, parfume, sent bon… Et on tape sur d’autres choses, sur sa vie, sur son quotidien, on le débarrasse de ses scories. Le passé et ses saletés gluantes tombent à l’eau. Peau neuve et linge propre. Un présent limpide. On nettoie la conscience, on l’étend, on la sèche, parfois on la repasse. Se remettre au propre (comme au figuré) procède d’un désir de repartir à zéro, blanc comme linge… une page vierge, réécrire le présent.

Et puis est arrivée la machine à laver

La libération de la femme, enfin de la mère au foyer. Il fût un temps où, habitant Paris dans un immeuble collectif, nous allions voir tourner les machines dans un grand local. Et plutôt que de descendre et remonter sans cesse les trois étages, nous restions devant le hublot. Nous parlions aussi de choses différentes, le grand air faisant défaut. Hypnotique hublot ! Visions de mousse blanche, nuages collés près des ailes d’une caravelle. Destination inconnue. Ce que j’aime le plus dans la lessive, c’est l’étendre au soleil quand il y a vent du sud, Haize Hegoa, comme on l’appelle en basque. Ah étendre ! C’est comme s’étendre sur le canapé de son psychanalyste. Enfin, tout va revenir comme avant… Vous savez ? Avant la naissance quand rien ne faisait tache, quand rien ne nous salissait. Quand tout était calme, propre et volupté. Et bien sûr quand notre mère lavait notre linge. Nous n’avions rien à faire, pas même à trier. C’est elle qui refaisait notre peau neuve, notre peau virginale. Elle nous redonnait un peu d’amour tout propre. Mais rien ne revient comme avant. La lessive nettoie mais ne fait pas renaître. Elle use. Quelle impermanence, la propreté !

©AdobeStock_615923356 - L'âme de la lessive

Une grande leçon de bouddhisme

Le dimanche ou le lundi tout est propre, parfumé et repassé. Tout repart donc pour une nouvelle semaine d’humeurs et de sueurs diverses, de froissement et de taches. La vie salit, elle ne fait pas de cadeaux . C’est peut-être pour cela que la lessive Bonux avait logé dans son paquet un petit cadeau surprise. Et l’on achetait la seule lessive qui, dans sa poudre blanche, détenait LE cadeau caché. Laver c’est aussi user son linge. Jusqu’à la corde. Et même s’il est raide, on aime sentir « le propre ». Les marques de lessive ne s’y sont pas trompées. Elles rivalisent de senteurs toutes plus exotiques les unes que les autres. On pourrait se croire parfois chez des parfumeurs. À quand une lessive N°5 Chanel, Paco Rabanne ou Balenciaga ? Le rayon « vert » n’est pas à la peine non plus. Tout est biodégradable. On se demande même si -comme dans des films fantastiques-, cette lessive ne va pas réduire le linge en miettes et l’avaler dans son tambour (sans trompette) pour nous rendre un seul petit mouchoir de la taille d’un timbre poste avec écrit dessus « Merci pour la planète et l’environnement »… Le must ? La lessive au savon de Marseille, celui de nos grands-mères, celui des lavoirs.

Je me suis dit, le vague à l’âme dans un hypermarché, que j’aurais aimé, un samedi matin, aller au lavoir en pierre, celui qui jouxte la rivière et passer la journée avec ces femmes robustes à la langue bien pendue et aux tabliers à fleurs. Nous aurions eu des potins à mettre sur Facebook et, en tapant sur nos draps, en 2023, mais oui… nous aurions fait le « buzz ».

Brigitte Alter

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