Quand parler reste un combat

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Sorties du brouillard de la sidération, du déni, de la honte ou de la peur, elles sont plus de 20 rescapées à témoigner, de façon bouleversante. Leur courage à rendre public ce qu’elles ont subi mérite d’être salué. Pour que tombe le mur de l’impunité…

Des rescapées classées sans suite

La sérialité des faits, venant de femmes qui n’ont rien en commun sauf le même drame – un cactus dans le vagin – est glaçante. Dans une série télévisée ou un polar, le lecteur serait impatient d’arrêter le coupable dans ses exactions. En ce doux pays de France, on s’aperçoit que malgré la conscience professionnelle et la qualité d’écoute de policiers, de juges (comme Eric de Montgolfier), de quelques journalistes et d’un responsable de TF1, l’affaire des viols commis par un présentateur vedette, présumé innocent, n’est toujours pas jugée, certains actes ayant été classés sans suite. Même quand les faits s’accumulent, se répètent jusqu’à la nausée, le huis-clos des violences sexuelles et sexistes renvoie toujours la parole de l’un contre celle de l’autre. Sans suite pour l’auteur, marquées à jamais pour les rescapées.

Hélène Devynck est la première à être montée à l’assaut de l’impunité, ce mur de verre très français dès lors qu’on ose s’attaquer à une célébrité. Elle souligne à juste titre d’autres affaires récentes où chanteur et ministre ont bénéficié d’une impunité incroyable au pays dit des droits de l’homme, même après #MeToo. Dans la littérature française également, nous avons des prix Nobel ou académiciens, comme André Gide ou Paul Morand qui ont fait l’apologie de la pédophilie, sans que personne ne proteste. Peut-on vraiment tout écrire sous couvert de littérature ?

Oser dire sans peur

La plongée à laquelle la journaliste Hélène Devynck et ses compagnes d’infortune nous convie permet une introspection à valeur universelle, car l’abus de pouvoir d’un supérieur hiérarchique est toujours vivace en France, quelle que soit notre profession. La difficulté à dire l’indicible est souvent majeure, la crainte de n’être pas crue, de perdre son poste, son conjoint, sont autant de raisons qui conduisent beaucoup de femmes à mettre leur mouchoir sur une violence sexuelle subie. L’amnésie protectrice qui peut frapper nos cerveaux nous est souvent cruellement reprochée, alors qu’elle est un réflexe de survie. L’adage qui ne dit mot consent est à bannir. Car se pose-t-on la question de la sidération qui cloue le bec ? De la peur et la honte qui tétanisent ?

« Le silence assure à l’agresseur une tranquille impunité. »

La solidarité dans l’adversité

En remontant le fil du temps, Hélène Devynck pointe du doigt tous les non-dits, entre femmes ou pas, les larmes entr’aperçues en sortant d‘un bureau, la question si salutaire que l’on n’a pas posée : « Est-ce que tout va bien ? As-tu besoin d’aide ? » Derrière le sempiternel « Cela ne nous regarde pas », il y a « le silence qui tue », comme l’écrit si justement l’autrice, avec un appel à la solidarité féminine, à prendre le risque d’émettre une suspicion, quitte à se tromper, plutôt que laisser faire ou oser dire « on se doutait, mais… le reste c’était derrière la porte ».

« You see you talk ! » dit-on en Australie (« Quand on voit on dit ! »)

La société française garde encore une complaisance coupable avec les violences sexuelles subies par les femmes et les enfants. Les très belles « l’ont cherché », et on suggère aux autres d’oublier, de passer à autre chose. La guerre en Ukraine nous rappelle pourtant chaque jour que le viol est une arme de destruction. Les enquêtes menées sur la réalité des violences sexistes et sexuelles en milieu professionnel par les étudiantes en médecine, en pharmacie, en massage-kinésithérapie, entre autres, sont édifiantes.

Réveillons-nous ! Sachons parler, avertir nos consœurs sur nos lieux de travail pour les mettre en garde contre les agissements de certains hommes, afin de faire cesser leur impunité et grandir le respect mutuel nécessaire.

Anne-Claire Gagnon

LIRE : « L’impunité » d’Hélène Devynck (Éditions Le Seuil, septembre 2022).

VOIR : « She said », film de Maria Schrader avec Carey Mulligan et Zoe Kazansorti sorti en salle le 23 novembre.
Deux journalistes du New York Times, Megan Twohey et Jodi Kantor, ont de concert mis en lumière un des scandales les plus importants de leur génération. À l’origine du mouvement #MeToo, leur investigation a brisé des décennies de silence autour du problème des agressions sexuelles dans le milieu du cinéma hollywoodien, changeant à jamais la société américaine et le monde de la culture.

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