Arletty, un cœur indépendant   

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La sortie d’un livre sur Arletty a fait remonter dans ma mémoire ce souvenir chaleureux, lorsque je suis allée prendre le thé chez elle, un moment délicieux en sa compagnie. Ne voyant pas bien mais ressentant très finement son interlocuteur, elle répondait à toutes mes questions, même les plus indiscrètes.

Arletty, c’est Paris

Jean Cocteau le disait : « Arletty, c’est Paris. Elle est occupée ». Qui était la petite Léonie Bathiat ? Habitant à Courbevoie, aujourd’hui appelé l’autre côté du périphérique, née d’un père libre-penseur et laïc et d’une mère croyante, elle était une athée élevée dans la religion. Amoureuse à 16 ans de Ciel, son premier amour mourra pendant la guerre de 14-18. Elle acquiert très vite son indépendance, devient mannequin chez Poiret car elle prenait bien la lumière. Un peu grisée par l’opium, elle rencontre sur un trottoir celui qui lui fera connaître le théâtre et passera de Léonie à Arlette puis à Arletty.

La scène pour horizon

À partir de 1919, elle ne quitte plus son art, théâtre, revues, vaudevilles. Les hommes furent nombreux à l’admirer comme l’Aga Khan assis tous les soirs à la même place, puis elle fit partie du monde du spectacle, Mistinguett, Maurice Chevalier, Jeanson, Sacha Guitry qui n’aimait que lui-même ou Michel Simon, « la belle et la bête » disait-il, en parlant d’eux deux. Ses amours sont alors à l’image de sa carrière, chaotiques, multiples et joyeuses. Il y eut Jean-Pierre qui l’emmena à cheval dans les rues de Paris, mais dont elle refusa la demande en mariage, trop éprise de sa liberté, et David avec qui elle vécut deux ans au Crillon. Puis elle se laissa tenter par le cinéma malgré ses dents du bonheur, avant le succès de Fric-Frac au théâtre.

Hôtel du Nord

C’est l’Arletty de notre mémoire « Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ?! ». Suivi de Le jour se lève de Prévert et de Madame Sans-Gêne, premier film français en technicolor, un cinéma dit « occupé ». Installée Quai de Conty dans un appartement déserté par une Américaine, elle organise des fêtes où se croisent Chanel et Picasso, avec dans sa tête un lieutenant allemand, Hans, qui deviendra son amant, lui faisant oublier en 42 le monde extérieur. Elle jouera dans Les visiteurs du soir offert par Prévert et tourné par Carné, pour continuer avec Les enfants du Paradis, que des succès ! À La Libération, elle se cache à Choisy-le-Roi, revient à Paris où elle est cueillie par la police pour être conduite à la prison de Drancy en même temps que Tino Rossi.

Libérée, Arletty est frappée d’un double glaucome et, après une opération, est borgne d’un œil, mais elle rechute et ne voit plus que flou. Le jour de son enterrement, le corbillard fit une halte devant l’hôtel du Nord et les badauds applaudissent au passage le cercueil revêtu d’un drap rose. Et moi, j’ai pensé à cet après-midi, où une vieille dame charmante m’a reçue dans son salon sans la voix gouailleuse et m’a raccompagnée, même sans y voir clair, à la porte de son appartement. Au revoir Madame !

Vicky Sommet

« Arletty, un cœur libre » de Nicolas d’Estienne d’Orves aux éditions Calmann Levy (octobre 2023)

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