Johanna Van Gogh, si injustement oubliée

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Oubliée de l’histoire, Johanna Van Gogh (1862-1925) a réussi à construire durablement la renommée de son beau frère, Vincent Van Gogh. À l’instar de son mari Théo, frère et agent du peintre, elle a saisi le génie tourmenté de l’artiste. L’œuvre de sa vie sera de le faire connaître au monde.

Des liens fusionnels

Johanna Bonger rencontre un marchand d’art connu Théo, le frère de Vincent Van Gogh, par l’intermédiaire de son propre frère, féru d’art. Elle l’épouse en 1889 et, pour célébrer la naissance de leur enfant, Vincent, devenu parrain, peint Amandiers en fleurs, alors qu’il est toujours interné à Saint-Rémy-de-Provence. Le prénom Vincent Willem est choisi pour le bébé, les mêmes prénoms que Vincent Van Gogh. C’est aussi le prénom du frère aîné, mort-né un an jour pour jour avant la naissance du petit. Entre les deux frères, Théo et Vincent, Johanna sent très vite une intimité sacrée, un lien fusionnel. À l’instar de son mari, elle perçoit le génie de Vincent, consumé par sa passion dévorante pour l’art. Cette passion, elle va la ressentir à son tour. Lorsque son mari succombe à la syphilis six mois après le suicide de Vincent, elle se retrouve à 29 ans avec des centaines de toiles de son beau-frère : un héritage assorti d’une mission.

La mission d’une vie

À sa mort, Van Gogh n’est pas un peintre totalement inconnu. En 1880, le critique et théoricien de l’art français, Albert Aurier, avait publié un article élogieux dans le Mercure de France, sur « des œuvres étranges, intensives et fiévreuses de Vincent van Gogh, ce compatriote et non indigne descendant des vieux maîtres de Hollande ». Mais Johanna se fixe l’objectif d’accroitre sa notoriété. C’est une femme cultivée et formée puisque, chose rare à cette époque, elle est autorisée à poursuivre des études jusqu’à la licence d’anglais. Devenue veuve, elle quitte Paris, s’installe en Hollande avec son bébé, ouvre une pension et accroche aux murs toiles et dessins de Vincent Van Gogh. Elle approche les notables et critiques d’art, un par un, sans se désarmer devant leur scepticisme. Elle est lucide dans son journal intime et se sait rejetée dans un monde de l’art dominé par les hommes, où elle est perçue comme « une charmante petite femme, s’énervant avec fanatisme sur un sujet dont elle ne connaît rien ».

Le prisme de l’écriture

Johanna se plonge à corps perdu dans la lecture de la correspondance entre Théo et Vincent. En découvrant l’homme, elle comprend  mieux le peintre qui détaille la vision de son art. Les mots et les couleurs dialoguent. Peu d’artistes vous laissent aller si près d’eux, de leur personne. Pour Johanna, les lettres doivent accompagner les peintures afin de conquérir ceux qui se demandent si l’on peut exposer les œuvres d’un malade mental. Elle confie les précieux documents à des critiques d’art. En 1914, elle publie un premier volume des lettres à Théo. Elle les traduit en anglais afin d’attirer l’attention du public américain. En 1922, le Detroit Art Institute est le premier musée public des États-Unis à acheter une peinture de Van Gogh, l’autoportrait de 1887. Le cercle de passionnés s’agrandit et désormais les jaunes et les bleus de Van Gogh, ses tourbillons, ne sont plus dénoncés comme des couleurs et des formes aberrantes mais comme une révolution artistique. La rétrospective du peintre qu’elle organise au Musée Stedelijk à Amsterdam est une étape décisive dans la consécration de Van Gogh.

Le dernier hommage à son beau-frère et son défunt mari sera de les réunir à Auvers-sur-Oise, où Vincent est mort et enterré. Elle-même n’y repose pas, elle a sans doute souhaité les laisser seuls pour l’éternité. Son journal intime a été conservé sous clé par sa famille jusqu’en 2009 et son rôle dans la consécration de Van Gogh injustement oublié.

Michèle Robach

Dans l’exposition Van Gogh, les derniers voyages ayant lieu au Château d’Auvers-sur-Oise jusqu’au 29 septembre 2024, une salle entière est réservée à la vie de Johanna, notamment dans un film immersif de 8 minutes et son nom est mentionné dans la grande rétrospective se tenant jusqu’au 4 février 2024 au Musée d’Orsay,Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Les derniers mois.

À VOIR Van Gogh, deux mois et une éternité en replay sur Arte TV.

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