Julia Allard, dans l’ombre d’Alphonse

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« Rien n’est doux comme les enfances heureuses dans les familles pleines de traditions, où les béguins des jeunes mères, soigneusement conservés, entourent de leurs dentelles un peu jaunies le visage rose des derniers venus… » Ces quelques lignes délicates débutent « L’enfance d’une Parisienne » dont l’auteur est Madame Alphonse Daudet, celle qui refusera toujours de signer de son propre nom, Julia Allard, et se réfugiera sous celui de son époux ou sous des pseudos.

Les « jeudis » de Madame Daudet

Née en 1844 de parents bourgeois, artistes et amoureux de la littérature, ils publient un recueil de vers et, très jeune, elle leur emboîte le pas. Son grand-père, qui fut maire de Vigneux dans l’Essonne, possédait un château dont elle gardera longtemps la nostalgie. En décembre 1865, elle fait la connaissance improbable d’Alphonse Daudet.  En 1867, elle l’épouse et naissent successivement trois enfants, Léon, Lucien et Edmée. Comme ses parents qui les recevaient déjà, elle adore s’entourer d’artistes. En parfaite maîtresse de maison, elle rayonne dans l’exercice et ses « jeudis » deviennent rapidement célèbres.

La famille Daudet a joué un grand rôle dans la vie littéraire et politique de la IIIe République. L’historien Stéphane Giocanti leur a consacré un ouvrage¹.

On peut y croiser des écrivains, des poètes et des musiciens, ainsi que des membres de la haute société : Edmond de Goncourt, Guy de Maupassant, Ernest Renan, Hélène Vacaresco, Pierre Loti, Anatole France, Herminie duchesse de Rohan, Anna de Noailles… et aussi Raymond Poincaré, les comédiennes Ève Francis, Juliette Adam, le peintre Antonio de La Gandara fréquentent son salon très couru.

Des oeuvres à quatre mains

Elle est la muse et la plus fidèle collaboratrice d’Alphonse. Elle est intervenue dans « Les Lettres de mon Moulin », ainsi que dans bon nombre de ses romans. Elle est parfois désarçonnée par le côté bohème de son époux qui reconnaîtra toujours sa valeur et le déclarera publiquement. On dira des œuvres d’Alphonse qu’elles étaient « à quatre mains ». Elle devient critique littéraire au Journal officiel sous un pseudonyme, chroniqueuse au Musée universel, membre du jury Femina et elle est une des premières lectrices de Proust, grand ami de son fils Lucien. Époustouflée par « La Recherche », elle encourage Marcel Proust à persévérer.

Une période éprouvante

Après la mort de son mari, elle rejoint la Touraine, continue à écrire tout en honorant la mémoire d’Alphonse. Elle passe ses hivers à Paris auprès de sa famille qui connaîtra des moments heureux dont le mariage de son fils avec la petite-fille de Victor Hugo, mais malheureusement beaucoup de drames sur fond de première guerre mondiale. Cette période éprouve beaucoup Julia. Chevalier de la légion d’honneur, elle entame la dernière partie de sa vie et décède en 1940 à 96 ans. Christophe Grandemange, spécialiste de George Sand vient de consacrer une biographie² passionnante à Julia. Séduit par sa longue vie, par son talent, et ému par son abnégation et sa modestie, il entreprend de la sortir de l’ombre d’Alphonse. Il évoque tour à tour l’épouse, la maîtresse de maison, la muse, la collaboratrice et l’écrivaine influente et contribue à lui donner la lumière qu’elle a toujours méritée.

Modestie, humilité, respect d’une époque où la femme n’existait qu’à l’ombre du mari… Et pourtant, Julia Daudet, poétesse, femme de lettres et journaliste mérite la notoriété à plus d’un titre !

Brigitte Leprince

¹« C’était les Daudet » de Stéphane Giocanti (éditions Flammarion, 2013).
²« Julia Daudet – Dans l’ombre d’Alphonse » de Christophe Grandemange (éditions La Gare des Mots, janvier 2023).

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