Une histoire de serre

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Ce n’est pas un hasard si le Musée de l’Orangerie accueille jusqu’au 16 janvier la superbe rétrospective de l’oeuvre de Sam Szafran. D’un bâtiment à l’origine conçu comme une serre pour y accueillir des orangers, puis les fameux Nymphéas de Monet jusqu’à la collection Walter-Guillaume, il n’y avait pas meilleur endroit pour les serres de Sam Szafran.  

Une histoire parisienne, des orangers aux Nymphéas

Franchissez le seuil du Musée de l’Orangerie, le bien nommé, puisque destiné à accueillir les orangers du jardin des Tuileries de Paris. Situé face à la Seine, à son emplacement se tenait au XVIIe siècle le restaurant Renard, du nom d’un ancien valet de chambre d’un noble qui monta une affaire où l’on trouvait de petites pièces ornées de tapisseries et de tableaux (l’art déjà !) où se retrouvent discrètement les Nobles du temps et, sous la Fronde, de tumultueux incidents s’y produisirent. En 1852, on conçoit le bâtiment comme une serre, sa façade sud, donnant sur le fleuve, est vitrée afin de recevoir la lumière du soleil et les fameux orangers.

À la fin de la première guerre mondiale, Claude Monet veut faire don à la France de « grandes décorations » pour célébrer la paix. Ça tombe bien ! Monet est le grand ami de Georges Clemenceau et c’est à la ténacité de celui qui est alors président du Conseil que l’on doit l’installation des Nymphéas au musée de l’Orangerie. Il bataillera à la fois avec les pouvoirs publics pour faire réaliser les aménagements voulus par Claude Monet pour l’accueil de ses chefs-d’œuvre, mais aussi avec Claude Monet, presque aveugle, qui prendra un temps infini pour « achever » son œuvre (Clemenceau se chargera même de faire opérer Claude Monet de la cataracte par son propre ophtalmologiste). Les nymphéas ne seront finalement accueillis à l’Orangerie qu’en 1927, six mois après la mort de Claude Monet.

La roue tourne

Des expositions suivront. De 1930 à 1933, les premières expositions notamment consacrées aux impressionnistes attireront des milliers de visiteurs, puis, patatras, durant l’Occupation, c’est le sculpteur allemand Arno Breker, artiste officiel du Troisième Reich, qui expose dans un contexte de propagande avec pour intention de montrer la grandeur de l’art officiel nazi opposé à l’art dit « dégénéré ». Après la Libération, les expositions reprennent alors leur cours et c’est en 1946 que sont présentés les chefs-d’œuvre des collections de peintures françaises saisis ou vendus sous la contrainte aux nazis et retrouvés en Allemagne, notamment par les fameux « Monument men ». De nos jours, la très riche et belle collection Walter-Guillaume « l’Art à Paris », cédée à l’État dans des conditions fort généreuses, constitue le fonds muséal. Un beau maillage entre le XIXème et le XXème siècles, des classiques comme Renoir, Degas mais aussi Picasso et Soutine, sans oublier Marie Laurencin, pionnière du cubisme et du dadaïsme avec son style qualifié de « nymphisme», adolescentes androgynes à la pâleur irréelle, et dont la vie vaut le détour. Je vous avoue que c’était la première fois que je voyais ses œuvres, même si j’en ai beaucoup entendu parler en dansant autrefois le slow sur la chanson de Joe Dassin, « Avec ta robe longue tu ressemblais à une aquarelle de Marie Laurencin »… 

Les obsessions de Sam Szafran

©Sam Szafran - Exposition Orangerie Paris 2022 2023Sam Szafran, malheureusement disparu en 2019 à l’âge de 85 ans, se réjouissait de montrer son travail dans un musée dont il se sentait proche artistiquement, Degas fut l’un de ses maîtres. L’exposition lui rend hommage et met en lumière son œuvre singulière et époustouflante reconnue un peu plus chaque jour. L’artiste peintre français a une approche figurative et poético-onirique du réel qu’il a développée loin du monde et de l’art conceptuel¹ et de ses engouements, dans le retrait de l’atelier. En autodidacte, il s’est initié au pastel, puis à l’aquarelle, mais également au travail sur des toiles en soie (pas de peinture à l’huile pour lui). Il met à l’épreuve le regard, en déformant et déconstruisant la perspective, dans des lieux clos, hermétiquement fermés sur eux-mêmes.

Une enfance particulièrement difficile, marquée par les catastrophes de la Seconde Guerre mondiale dans une famille d’origine juive-polonaise, un exil, un enfant lourdement handicapé, lui ont fait préférer cette solitude, se focalisant sur sa propre existence et ses états intérieurs pour donner naissance à ses thèmes de prédilection : escaliers vertigineux, ateliers magnifiés, feuillages impénétrables…

Laissez-vous envoûter par le talent labyrinthique de Sam Szafran et plongez dans un « état de grâce », comme le souhaitait Claude Monet en recréant l’Orangerie pour ses Nymphéas !

Anne-Marie Chust

¹« L’art conceptuel c’est un peu comme une baguette sans la mie. » Benjamin Olivennes
Exposition Sam Szafran, obsessions d’un peintre – Musée de l’Orangerie – Jusqu’au 16 janvier 2023. 

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