Camille, modèle, compagne et muse

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Découvert en déambulant il y a quelques années au Musée d’Orsay, aucun attroupement, on pouvait le contempler à loisir, « Camille sur son lit de mort » est probablement l’un des tableaux les plus méconnus de Claude Monet, mais tellement évocateur et expressif.

Qui était donc Camille

Première épouse de Claude Monet, Camille Doncieux est décédée d’un cancer à l’âge de 32 ans. Cette œuvre a apparemment été composée le matin même de sa mort dans ce qui semble être un état de sidération, comme produit par un grand choc émotif. L’oeuvre nous suggère la tristesse, bien sûr, la douleur et peut-être aussi la colère par ses coups de pinceaux violents et appuyés qui ne servent pas ici à peindre la lumière et la couleur par touches délicates comme Claude Monet en avait l’habitude. Camille aura principalement connu et partagé les années de galère de son compagnon, les privations, les journées d’hiver presque sans feu, les déménagements continuels, les dettes et même l’infidélité. Ils se rencontrent en 1865 lorsqu’elle a 18 ans et lui 25, elle devient son modèle et sa muse. On a tous en tête les tableaux sereins et magnifiques de Claude Monet et son obsession pour la lumière et la couleur et pour Camille qui apparaît dans presque toutes ses toiles et même plusieurs fois dans la même comme dans « Femmes au jardin ».

Qui était Claude

La personnalité de Claude était toutefois moins lumineuse, il était connu pour être brusque et plutôt tyrannique, tout à une œuvre qui n’était pas comprise au début. Sans parler de la famille de Claude qui lui refusait son aide car elle désapprouvait fortement sa relation avec Camille. Ils finissent par se marier en 1870 après la naissance de leur fils Jean. Un exil à Londres, les difficultés qui persistent et la santé de Camille qui s’altère. On la voit passer au second plan de la toile et peut-être de la vie de Monet, trop préoccupé par son art et par Alice Hoschédé¹, la future deuxième Madame Monet, qui finit par s’installer chez eux avec ses enfants. Autoritaire, c’est elle qui dirige la maisonnée. Camille se sent fatiguée, son agonie a commencé. Elle ne va plus à la campagne, elle souffre et s’éteint le vendredi 5 septembre 1879. Elle ne connaîtra jamais l’ère de prospérité qui s’ébauche, ni l’installation trois ans plus tard à Giverny. Pour autant, l’image de Camille s’est-elle effacée du cœur de Claude ?

Histoire d’eau

Alors que Camille repose sur son lit dans sa robe de mariée, comme cela se faisait à l’époque pour les jeunes mortes, une étrange sensation s’empare de Claude. Il résiste, il cède, prend une toile, commence une étude. Comment a-t-il pu, dans l’immédiateté du deuil qui le frappait, saisir une fois encore picturalement Camille ? Était-ce la seule réponse possible pour lui conférer l’éternité ? Il est dit que dès le lendemain Claude « se reproche d’avoir agi en artiste, se laissant séduire par le jeu de la lumière et des couleurs, d’avoir traité ce cadavre cher en objet neutre ». Pourtant, nulle neutralité dans le tourbillon de lignes qui enlacent et voilent ce visage. De même, à quoi associer les couleurs muettes ici jetées si ce n’est à la tristesse et au regret ? On dit qu’Alice a détruit tous les souvenirs de Camille, mais ce tableau demeurera secrètement avec Claude sa vie durant. Il ne peindra presque plus de portraits et se consacrera de plus en plus à ses paysages aquatiques. Ce tableau a-t-il pu être le premier de cette longue série ?

Camille sur le tableau a l’air d’ondoyer dans un univers liquide et me rappelle ce merveilleux poème de Rimbaud : « Et le poète dit qu’aux rayons des étoiles, tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis, et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles, la blanche Ophélie flotter comme un grand lys. »

Anne-Marie Chust

¹Mariée à Ernest Hoschédé, mécène de Claude Monet.

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