Zuzanna Ginczanka, poétesse, juive et martyre

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Lors d’une manifestation pour le droit à l’avortement en 2020 à Varsovie, le portrait de Zuzanna Ginczanka était brandi par les manifestantes qui déclamaient son poème « La Révolte des filles de 15 ans », réclamant « les droits biologiques et la fin de l’hypocrisie ». Longtemps oubliée, l’œuvre de cette poétesse polonaise résonne depuis la fin des années 90 dans son pays et dans le monde entier, avec des lectures, des biographies et des traductions de ses poèmes.

De Ginzburg à Ginczanka

Zuzanna Ginzburg naît dans une famille juive le 22 mars 1917 à Kiev, devenue cette année-là capitale de l’Ukraine soviétique. Ses parents fuient la révolution russe en 1921 et s’installent à Rivne, dans la toute jeune Pologne indépendante (l’ouest de l’Ukraine actuelle). Zuzanna est élevée par sa grand-mère, va à l’école polonaise et apprend le français avec sa nounou. Elle écrit en polonais dès l’âge de cinq et polonise son nom en Ginczanka. Elle publie son premier poème (« Une fête de vacances ») à 14 ans dans le journal de son lycée, puis son poème « Fertilité du mois d’août » dans un quotidien national deux ans plus tard. Cela marquera le début de sa carrière. À 18 ans, elle part étudier à Varsovie et découvre pour la première fois l’existence de l’antisémitisme. Elle publie l’année suivante un recueil de poésies, « À propos des Centaures », qui assoit son statut de poétesse reconnue.

Une oeuvre sensuelle, féministe et révoltée

Suzanna est un électron libre, au tempérament lyrique et féministe et devient rapidement une figure admirée de l’avant-garde poétique polonaise dans un milieu principalement masculin. Elle publie ses poèmes, chroniques, aphorismes, dialogues dans différentes revues. Progressiste sans être militante, elle décline avec ferveur dans sa poésie à la fois un anti-fascisme et sa condition de jeune fille, puis de jeune femme, de juive, de poétesse, de journaliste et de femme seule et libre. Son œuvre est sensuelle, féministe et révoltée. Elle documente son monde de jeune fille dans la Pologne des années 20 et 30, géographie aujourd’hui disparue… Admirée, mais ostracisée par sa beauté exotique à l’heure où le fascisme naît en Europe, Suzanna révèle dans ses poèmes les tensions liées au genre, à la race et la misogynie.

Fauchée par la guerre

Sa trajectoire fulgurante est fauchée par la guerre. La Seconde Guerre mondiale éclate et la force à partir se cacher à Lviv. La ville est envahie par la Russie soviétique, puis prise par les nazis en 1941. À l’automne 1944, elle est dénoncée par la concierge de son immeuble, arrêtée avec Blumka Fradis, son amie d’enfance, non juive, venue lui rendre visite. Elles seront exécutées toutes les deux en 1945 à l’âge de 27 ans à la prison de Cracovie. En 1946, lors du procès de la traître, qui écopera de quatre années de prison pour avoir trahi l’identité de Zuzanna auprès des nazis, son poème « Non omnis moriar » écrit en 1942, est cité dans la sentence. Zuzanna Ginczanka y raconte le déchirement de la trahison générale qu’elle vit et la réalité du traitement que les Polonais lui réservent. C’est, selon les chercheurs, le seul exemple dans les annales de l’histoire judiciaire où un poème sert de pièce à conviction dans un procès criminel.

En 2015, le musée de littérature Varsovie consacrait une exposition sur la poétesse. La force poétique et politique des textes de Zuzanna Ginczanka est restée intacte.

Marie-Blanche Camps

À l’affiche : le documentaire «Tout de moi ne disparaîtra pas » de Joanna Grudzinska (2022) relate la fin de la vie de Zuzanna Ginczanka en mêlant documents d’archives, séquences avec des historiens et chercheurs, lectures de ses poèmes par des adolescentes qui vivent dans sa ville natale et images des manifestations d’octobre 2020 en Ukraine.

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