Anne Martiréné, ma vie en trilogie

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Basque par son père, bretonne par sa mère, typographe et graphiste à Paris, passionnée de stèles discoïdales¹, ces monuments funéraires que l’on retrouve au Pays basque, Anne vit intensément, un pied à Paris, un pied à Saint-Palais, menant de front trois vies ayant en commun la recherche d’identité.

Le crayon à la main

Si Anne naît à Paris où elle y fait ses études, elle passe néanmoins toutes ses vacances au Pays basque à Saint-Palais, berceau de sa famille paternelle, où ses parents prendront le moment venu leur retraite, comme l’ont fait avant eux leurs parents. Du côté paternel, des artisans bâtisseurs, du côté maternel des grands marins et des patrons pêcheurs. Son père qui a fait l’École Boulle est designer métal, sa mère styliste. Le mercredi, on l’emmène au musée, ses dessins sont fièrement affichés sur les murs de la maison. « Elle était facile à élever », disait d’elle sa mère, « elle a dessiné avant de marcher ». À partir de la 5e, Anne suit 20 heures de cours de dessin par semaine pour pouvoir rentrer sur concours à l’École Estienne² à la fin de la 3e. Elle y restera 7 ans et en sortira avec un master en poche. Elle traversera facilement son adolescence, portée par sa passion.

« J’étais dans mon liquide amniotique ! » 

Londres, Pékin, Berlin

Anne commence sa vie professionnelle par des stages dans des agences de design à Londres où elle rencontre le père de sa fille, un Allemand qu’elle suivra pour son travail à Pékin. Elle y reste 6 mois pendant lesquels elle se forme à la calligraphie chinoise. « Je mesure aujourd’hui comme cela a été  fondateur dans ma formation. Après une éducation classique à Paris, j’ai appris à Londres la simplification (si je vends un balai, je dessine un balai) avant d’appréhender à Pékin le plein et le vide, la lumière et l’ombre (l’espace autour du balai). » Après un retour à Paris où elle apprendra toutes les bases de son métier de graphiste dans une agence de design anglaise pendant trois ans, elle suit son compagnon à Berlin. Ils y arrivent quatre ans après la chute du Mur dans une incroyable atmosphère d’effervescence. Le chancelier Kohl veut propulser la ville réunifiée en capitale et y attirer les membres de son gouvernement. Anne travaillera dans une agence de design qui démarre et en free lance.

« C’est le moment béni de ma carrière, car ici tout était à faire et possible ! »  

Misogynie et inculture

Après 5 ans passés à Berlin, Anne rentre à Paris après s’être séparée de son compagnon. Elle a 31 ans et une fille de 6 ans à élever. Elle fait le tour des agences où elle détonne avec son book bio et grün où elle prône le blanc… Elle rentre à l’agence Metzler & Associés. « Quand en Allemagne on présentait 3 logos au client, ici on en présente 20 avec 5 couleurs différentes ! On travaille le week-end et tard le soir. » Anne y restera 8 ans, pas le choix, elle a sa fille à faire vivre, jusqu’à ce que l’agence soit rachetée et qu’elle se retrouve sur le marché du travail. Elle décide alors de s’installer en free lance, d’abord chez elle, puis en open space dans une ancienne menuiserie avec d’autres indépendants des métiers de la communication. Jusqu’au confinement qu’elle passera au Pays basque bien sûr.

« Quelle souffrance ce retour à Paris où ceux qui vendent le produit n’ont aucune connaissance du graphisme, sans parler de la misogynie régnant alors dans ce milieu. »

Une trilogie

Le père d’Anne, passionné d’art, a souvent emmené ses trois filles au Centre d’interprétation des stèles discoïdales fondé par l’association Lauburu à Larceveau au cœur du Pays basque où on voue un véritable culte à la mort. Or, la mère d’Anne a toujours demandé à être enterrée en pleine terre le moment venu. L’idée germe alors dans la tête d’Anne à la mort de son père de poser sur la tombe de ses parents une stèle discoïdale portant une symbolique de la mer pour rappeler à sa mère enterrée en terre basque ses origines bretonnes. Inspirée par le fameux livre de Louis Colas³, la référence en la matière, Anne se lance dans la création et la réalisation de la stèle que l’on peut voir aujourd’hui au cimetière de Saint-Palais. Depuis, elle a réalisé 3 autres stèles et 6 sont en projet.

« J’ai toujours été fascinée par la liberté et le foisonnement artistique du Moyen Âge qu’a généré le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Des artisans et graveurs du monde entier se retrouvaient en ce lieu de passage au Pays basque. Les stèles portent des signes et des symboles qui font naître toutes sortes d’interprétation possibles. »

©Larrazkena

Anne, qui travaille toujours comme graphiste free lance avec ses clients parisiens et assure deux jours par semaine la communication de la députée Marie-Pierre Rixain, s’est aussi lancée dans la création et l’impression d’affiches provenant des illustrations originelles de Colas et qui représentent les stèles et linteaux du Pays basque en plus de les réaliser grandeur nature. Une vie sous forme de trilogie pour celle qui affirme que demain sera pour elle « au Pays basque dès que la maison familiale5 sera à moi. Je ne crois plus à Paris, alors je prends le maquis ! »

Marie-Hélène Cossé

¹En France, elles sont répandues dans le Sud-Ouest et notamment au Pays basque. Nommées hilarri, de hil « mort » et arri « pierre », conçues en pierre calcaire ou en grès, elles abondent du XVIe au XIXe siècle. Les signes sculptés peuvent être des motifs géométriques symbolisant l’ineffable, des signes astrologiques, des symboles chrétiens, judaïques, végétaux, animaliers, mythologiques, voire le symbole du métier du défunt.
²Dénomination courante de lÉcole Supérieure des Arts et Industries Graphiques (ESAIG) formant dans les métiers de l’imprimerie, du design de communication et des métiers d’art du livre.
³La Tombe basque, recueil d’inscriptions funéraires et domestiques du pays basque français de Louis Colas (1923) – Les stèles discoïdales et l’art funéraire basque : Hil Harriak de Jon Etcheverry-Ainchart (2004).
4Pour tout projet de création de stèles ou commande d’affiches ou de cartes postales, contacter Anne Martiréné anne@larrazkena.com. Sa page FB.
5La maison Larrazkena, nom de sa marque de création de stèles.

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