Martine Ortega, peintre-décoratrice kamikaze

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« Pour mes études, j’ai commencé par passer une maîtrise de Sciences de l’éducation car j’étais intéressée par le côté humain et tout ce qui est transversal, comme la sociologie ou la psychologie ». C’est la première fois que Martine Ortega me parle d’elle alors que nous sommes voisines de chevalet dans un atelier où l’on enseigne la peinture à l’huile. Et je vais apprendre doucement que, si elle s’adonne à cet art comme loisir, elle est en réalité une « pro » de la peinture en bâtiment, peinture décorative, fresques ou décors de spectacles. Avec pour ambition de former des personnes en recherche d’emploi à un nouveau et beau métier.

Le social mène à tout

Après ses études, Martine Ortega décide d’entrer dans le monde de l’entreprise, 10 ans chez Saint-Gobain où elle se découvre militante en devenant déléguée CGT puis CFDT avant de s’intéresser au monde de l’éducation et de passer un diplôme d’éducatrice spécialisée. « Lorsque j’arrive au bout de quelque chose, je change. Un métier t’amène naturellement à un autre ». Et la voilà dans un internat pour aider des jeunes filles en difficulté placées, un travail qu’elle trouve passionnant mais épuisant. Et elle bifurque à nouveau en décidant de rentrer dans le monde de la formation et d’intégrer avec ce projet encore peu abouti, la fac de Dauphine pour acquérir un diplôme de formateur d’adultes pour faire de l’ingénierie en entreprise. Sa détermination est grande, jamais freinée par les obstacles à franchir et toujours avide d’autres savoirs pour parfaire ses acquis. Elle enchaîne alors en entrant au Ministère du Travail dirigé alors par Martine Aubry où, pendant trois ans, elle est chargée en équipe de mettre sur pied un projet pédagogique pour aider les associations à utiliser des produits innovants pour les publics en difficulté : la mission « Nouvelles qualifications ».

Il suffit d’y croire !

De fil en aiguille, Martine Ortega décide alors qu’il est temps qu’elle « fasse » un bébé et bien que féministe convaincue, avec un credo « un enfant quand je veux », son projet a mis plus de temps que prévu à se réaliser! Et quand Clémentine est enfin arrivée, elle avait eu le temps de peaufiner son projet et la décision de créer sa propre entreprise est devenue sa priorité. L’aventure oui mais avec une solide expérience pour base de travail et la conviction que pour former des personnes à l’apprentissage d’un métier, il fallait aussi leur donner l’envie de créer et de valoriser leur travail par le beau. « Au lieu de monter un cursus dans la couture ou le bâtiment, j’ai choisi la peinture décorative où toutes les expressions artistiques individuelles peuvent s’exprimer. Et j’ai créé Artemisia en me confrontant dès le départ aux problèmes financiers mais je savais exactement ce que je voulais faire et, comme je suis assez kamikaze, j’ai persévéré dans mon projet  ! ». Une bonne fée veillait heureusement sur son parcours du combattant : elle a trouvé tout de suite un local (à l’époque avec le Minitel 3615 à louer), une belle-sœur qui travaillait dans une banque lui a proposé son aide et elle n’a eu aucun mal à trouver des formateurs. Pas d’étude de marché au préalable mais une seule certitude qui lui sert encore de guide aujourd’hui : « J’avais une certaine philosophie, je voulais que mon école ait une éthique. Et mes futurs élèves devaient absolument entrer dans mes valeurs ». C’est bien certain quand on a la foi, on peut déplacer des montagnes !!!

Artemisia, une boîte qui « roule »

150 élèves par an, les mêmes professeurs depuis le début de l’aventure, des modules de 6 à 7 mois, voire un an, les publics sont envoyés par Pôle emploi ou d’autres structures d’aide sociale, des hommes en majorité bien que Martine Ortega leur ait expliqué que le peintre-décorateur peut aussi être une femme, des formations individuelles, des formations continues, un public qui varie de l’immigré à la recherche d’un métier (80%) au SDF, en passant par une ancienne hôtesse de l’air qui veut se reconvertir.

Et demain ?

Martine Ortega, en apparence timide et discrète, est en réalité je m’en rends compte, une femme à poigne, convaincue du bien-fondé de son projet … ou plutôt devrais-je dire de ses projets ! Car elle envisage maintenant de laisser la direction de son « bébé » et d’en devenir la présidente pour prendre d’autres orientations. Écrire un livre sur son expérience, construire un documentaire pour mettre en images les belles réalisations de ses élèves et prouver que, si on a un projet cohérent, un lieu d’accueil, une approche collective avec la transmission de valeurs, on peut, et les organismes d’aide sociale devraient s’en inspirer, mélanger les personnes en difficulté, SDF, chômeurs en recherche d’emploi où jeunes en demande de formations, et créer ainsi un lien social durable qui permettra à ces hommes et ces femmes de se reconstruire et d’affronter à leur tour le monde impitoyable du travail, tout en s’intégrant dans une société qui ne leur avait pas fait de cadeau jusque-là. « Ça ne se voit pas au premier abord mais j’ai la passion de mon métier ; j’aime les humains et mon but consiste à les mettre debout et qu’ils soient fiers de leurs choix. Certaines personnes arrivent les yeux baissés et les épaules voûtées, n’osant pas me regarder lors du premier entretien. Quand elles repartent, au bout de 6 mois, elles te regardent dans les yeux et te disent : Merci Madame Ortega ».

Vicky Sommet

www.artemisia-formation.com

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